Dijon, le 3 janvier 2000
Monsieur,
Suite à votre demande, les éditions EPO m'ont fait parvenir votre ouvrage Miracle ou imposture? L'histoire interdite du " suaire " de Turin, et je tenais à vous en remercier. Je le lirai avec grand intérêt. Permettez-moi, néanmoins, de vous faire part de quelques petites remarques qui me sont venues en lisant votre introduction et votre bibliographie :
Il est piquant de voir que dans votre introduction vous brandissez très haut l'oriflamme de l'honnêteté scientifique et rigoureuse, parce que, selon vous, non confessionnelle, alors que dans son ouvrage - paru un peu plus tard que le vôtre sans doute puisque vous ne le citez pas - madame Marie-Claire van Oosterwyck-Gastuche, catholique et partisane de l'authenticité du Linceul, nous fait la même " confession ". Je vous cite : " Il était donc temps de redescendre quelques instants sur terre pour regarder le dossier d'un oeil neuf et tenter de retracer la véritable histoire de cette relique (...). Je suis donc parti à la rencontre de cet étonnant objet, avec pour guide ma vigilance critique (suit un passage d'auto-satisfaction). En tentant de me garder des préjugés faciles, mais aussi de la complaisance habituelle avec laquelle on est tenté d'examiner la relique, j'ai commencé par dresser le bilan des enquêtes qui ont été réalisées sur le " suaire " . " (P-E Blanrue, p. 9). " J'ai voulu examiner en termes scientifiques et rationnels les fondements de la date médiévale et des méthodes qui l'avaient déterminée (le radiocarbone, le calcul statistique, les diverses corrections etc.). J'eus la surprise, à mesure que je progressais dans mon investigation, de voir les certitudes les mieux établies se dérober. (...) Ce livre ouvre des portes jusqu'ici verrouillées. Il permet une vision élargie des phénomènes, qui tient compte des données issues de diverses disciplines jusqu'ici séparées par des cloisons étanches ". (M-C van Oosteryck-Gastuche, Le radiocarbone face au linceul de Turin, F-X de Guibert, 1999, p. 4-5) Dites-moi, s'il vous plaît qui de vous deux dois-je croire, et quelles sont les raisons qui me pousseraient à vous faire confiance plutôt qu'à elle?
Dans les notes et dans la bibliographie, vous ne citez jamais l'ouvrage de Maria-Grazia Siliato, Contre-enquête sur le Suaire, 1998, et qui, à mon modeste avis, est un ouvrage incontournable sur la question, que l'on soit ou non partisan de l'authenticité du Linceul, simplement par souci d'objectivité. Pourquoi cet oubli?
Autre petite remarque. A la page 8, vous écrivez : " Le proche avenir ne semble pas réserver de retour à l'esprit de 1988, puisque l'Église a fait savoir qu'une autre exposition était prévue pour le Grand Jubilé de l'an 2000, destiné à célébrer la naissance du Christ. De quoi propulser la relique dans le nouveau millénaire ". Dans le contexte général de l'introduction, on a compris que vous êtes farouchement hostile à toute pratique religieuse, et en particulier catholique. Mais, même à supposer que le linceul soit un faux médiéval, pourquoi critiquer et dénigrer de la sorte, et gratuitement, la ferveur populaire et la simplicité des âmes de ces croyants qui feront le déplacement à Turin? Dans ce cas précis, la décision de l'Église de prévoir une nouvelle ostension n'a rien à voir avec les résultats de la datation au carbone 14. Vous vous égarez et sortez de votre sujet qui est de démontrer que le suaire est une icône médiévale. Cette position partisane augure mal de la suite de votre ouvrage qui se veut objectif si j'ai bien compris.
Enfin, pour terminer, je ne comprends pas pourquoi vous ne citez pas les travaux des deux chercheurs israéliens de l'Université hébraïque de Jérusalem, dont le professeur Uri Baruch qui auraient mis en évidence des traces, piégées dans la trame du lin dont est constituée l'étoffe du suaire, d'une plante qui ne pousse que sur les collines entourant Jérusalem. Il s'agirait d'une sorte de ronce. Mais je peux me tromper n'ayant que parcouru votre livre et non pas encore lu.
En vous souhaitant une bonne année, je vous prie d'accepter, Monsieur, l'expression de mes meilleurs sentiments.
Bruno Bioul.
Réponse de Paul-Éric Blanrue
Paul-Éric Blanrue
à
M. Bruno Bioul
Les Dossiers d'Archéologie
25, rue Berbisey 21000 Dijon
Paris, le 27 janvier 2000
Monsieur,
Je viens de recevoir votre lettre datée du 3 janvier 2000 et vous en remercie. Je m'aperçois malheureusement que vous ne répondez à aucun des arguments dont je vous fais part dans ma lettre du 15 décembre 1999. Ne l'auriez-vous pas reçue au moment où vous m'écriviez? Si tel est le cas, vous seriez fort aimable de vous y pencher et de me faire connaître votre sentiment. Dans le cas contraire, pourquoi ne m'avoir pas répondu?
La brève critique à laquelle vous vous livrez me laisse perplexe. Que peut-on connaître d'un ouvrage après n'en avoir parcouru que l'introduction (4 pages sur 271) et la bibliographie?
Vous recopiez les déclarations d'intention identiques de deux auteurs développant une thèse opposée et me demandez : " qui croire? ". Ai-je bien lu? Vous contenteriez-vous, pour vous forger une opinion impartiale, des déclarations d'intention des auteurs que vous lisez? Si vous aviez poussé la lecture de mon ouvrage plus avant peut-être vous seriez-vous aperçu que je répondais aux arguments de Mme Oosterwyck-Gastuche, lesquels ne sont qu'une reprise des thèses classiques, développées par les partisans du " suaire " depuis 1989. Alors informé, vous auriez été en mesure de vous faire un avis objectif.
Je vous rappelle que Mme Oosterwyck-Gastuche a consacré un livre entier à la méthode de datation radiocarbone, qui ne relève pas de son domaine de compétence. S'opposer à tous les spécialistes (comme Jacques Évin) d'un domaine qu'elle ne maîtrise pas ne semble guère l'émouvoir.
Si vous désirez prendre connaissance de l'avis motivé de Jacques Évin, il suffit de le lui demander. Si vous voulez connaître le détail les calculs du Pr. Broch que je place en référence à ma démonstration, je peux vous l'envoyer par retour du courrier.
Concernant le livre non cité de Mme Siliato, c'est très simple : étant donné les milliers d'ouvrages parus sur le " suaire ", je me suis fixé pour règle de ne me reporter qu'à des ouvrages de référence, exprimant une thèse originale, et non à leurs digests . Ainsi, bien que ne citant pas Contre-enquête sur le Suaire, je réponds à tous les arguments qui y sont développés, puisque je me reporte directement aux documents sur lesquels Mme Siliato s'est appuyée. Mais là encore, pour s'en rendre compte, il faut m'avoir lu jusqu'au bout.
Vous dites me sentir " farouchement hostile à toute pratique religieuse, et en particulier catholique ". J'ai beau me relire, je ne vois rien de " farouche " dans mes propos. Si j'avais voulu rédiger un pamphlet anti-catholique, cela m'aurait été facile, vu l'imposture avérée que constitue le " suaire " - et je l'aurais fait. Telle n'a pas été mon intention. Sans doute m'avez-vous trop vite lu car, dans mon introduction, je me reporte clairement aux déclarations du pape Jean-Paul II, qui a déclaré publiquement que le " suaire " n'était pas un article de foi - ce qui signifie que l'étude de cet objet ne touche pas aux dogmes de l'Église et que, tels les miracles de Lourdes ou les apparitions de Fatima, tout catholique a le droit de ne pas y croire sans sombrer dans l'apostasie. Si vous aviez encore porté votre regard sur ce qui précède cette introduction vous auriez constaté que je dédiais mon livre non pas au secrétaire général de la Libre Pensée, mais à un évêque : Mgr Henri de Poitiers, lequel - comme Mgr Pierre d'Arcis, comme le pape Clément VII, le chanoine Ulysse Chevalier, le chanoine Lalore, comme le Père Braun, La Revue Biblique, les Bollandistes, le Père Lagrange, le Dictionnaire d'archéologie chrétienne, Mgr Saxer et des dizaines de milliers d'autres catholiques appartenant ou non à la hiérarchie, distingués ou anonymes - ne croyait pas à l'authenticité du linge.
Je ne " dénigre " pas " gratuitement " la ferveur populaire des pèlerins de Turin. Je déplore au contraire la mauvaise foi des sindonologues, qui ont entamé une croisade évoquant celle des créationnistes états-uniens en répandant leur propagande sans aucun souci de répondre à leurs contradicteurs - et ensuite, la position pour le moins ambiguë de l'Église, qui, malgré les verdicts du C14 et de l'équipe du Dr McCrone, laisse croire aux fidèles, comme naguère les chanoines de Lirey, qu'ils vénèrent le véritable suaire du Christ et non une simple représentation de celui-ci. Aurait-elle oublié le sens de Est est, non non? Dans cette affaire, les fidèles, incorrectement informés, sont à mes yeux des victimes.
Vous vous étonnez que je ne rapporte pas les " découvertes " des chercheurs israéliens. Pour une bonne raison : mon livre est sorti avant. Si vous désirez connaître mon sentiment sur ces " découvertes ", je puis vous le communiquer.
Pour finir, je réponds à vos bons voeux pour l'année 2000, en vous adressant les miens, et vous prie d'agréer, Monsieur, l'expression de mes sentiments distingués.
Paul-Éric Blanrue.