Le "vieux Big Bang"
Le Big Bang? Parlons plutôt de "la grande explosion des origines..." Cest le résultat convergent de deux séries d observations bien faites, de leur interprétation la plus simple, de lextrapolation (hasardeuse!) de cette interprétation, et dune fantastique exploitation médiatique (et même catholique...).
Les observations, ce sont dabord celles de Slipher, dans les années 1910-1920, dun décalage vers le rouge (redshift dans la littérature anglophone) des raies du spectre des galaxies les plus lointaines (mais encore assez proches, compte tenu des moyens faibles dont disposait Slipher). Ce sont ensuite celle de Hubble, dans les années 20, au télescope de 2 mètres du Mont-Wilson, qui arrive à mesurer les distances des galaxies (avec des procédés indirects, mais puissants, dont je ne parlerai pas ici), et qui mesure aussi une cinquantaine de décalages spectraux de galaxies, jusquà des distances de lordre de quelques millions dannées de lumière.
Hubble note que plus la distance est grande, plus le décalage spectral est grand; il y a, selon lui, une stricte proportionnalité entre décalage spectral et distance: cest la relation de Hubble.
Or, à lépoque de Hubble comme maintenant, un seul phénomène bien connu conduit à interpréter les décalages spectraux : cest leffet Doppler-Fizeau, découvert au milieu du XIXème siècle. Si une source de lumière séloigne de lobservateur, son spectre, toutes les raies de son spectre, sont décalées vers le rouge dune quantité proportionnelle à la vitesse déloignement. Et si la source sen rapproche, le spectre est décalé vers le bleu. Doù linterprétation : les galaxies sécartent de nous dautant plus vite quelles sont plus éloignées; donc elles sécartent les unes des autres dautant plus vite quelles sont plus éloignées... Il y a une expansion générale de l'univers. Hubble lui-même et le thermodynamicien Tolman, dans la fin des années 30, parlaient cependant encore dexpansion apparente. En effet, ne fallait-il pas laisser la porte ouverte à dautres interprétations possibles des décalages spectraux des galaxies, si grands par rapport à ceux que lon réalise au laboratoire?
Quoi quil en soit, si on interprète la relation de Hubble en termes dexpansion réelle, et si lon se livre à une extrapolation élémentaire, et que lon remonte dans le temps dune façon simpliste, comme si le taux dexpansion avait été constant, on en arrive à un moment dans le passé où l'univers était hyper-condensé, de densité infinie, - ce que les mathématiciens appellent un point singulier. L'univers était-il alors effectivement rassemblé en un point, et de volume nul? Il ny aucune raison pour cela. Non : ... simplement de densité infinie - partout.
Pendant cette même période, les théoriciens travaillaient à construire un univers qui satisfasse aux lois de la Physique, telles que synthétisées par la Relativité Générale (RG) dEinstein (1916), et qui rendaient compte de toute la physique connue sur Terre .La RG explique même certaines anomalies par rapport à la physique newtonienne, observées au voisinage du Soleil, telles la déviation forte des rayons lumineux par le Soleil (observable au cours dune éclipse de Soleil), ou les anomalies du mouvement de la planète Mercure, la plus proche du Soleil. Einstein, le premier, construisit alors un modèle dunivers, fort simple dailleurs. Il le voulait, a priori, stationnaire, pareil à lui-même de toute éternité. Pour ce faire, il introduisit un nouveau terme dans les équations, afin de simuler une force de répulsion compensant lattraction newtonienne classique: cest la constante cosmologique, désignée par le symbole L. Mais Friedmann (1922), puis Lemaître (1929) éliminèrent cette idée dEinstein. Friedmann, supprimant la constante cosmologique, obtient des modèles possibles en grand nombre. Certains dentre eux sont compatibles avec lexpansion de l'univers. Les plus raisonnables admettent un point singulier, éloigné dans le passé un peu moins que le temps écoulé depuis le point singulier issu de lextrapolation simple. En dautres termes, lextrapolation du taux de la relation de Hubble fournit une valeur limite supérieure de lâge de l'univers dans les modèles de Friedmann. Au temps dHubble, les mesures donnaient à cette âge limite environ 2 milliards dannées... Or la Terre (on le sait grâce à la géologie) est plus vieille : 4.62 milliards dannées... Contradiction!... Il faudra étendre, modifier, corriger, les mesures de Hubble. Lemaître imagine lexistence de cet univers primitif comme effectivement limité à un point, quil appelle latome primitif. De cet atome primitif serait né, après une fantastique explosion, tout l'univers.
Gamow, Alpher, Herman, dans les années 1949-1954, vont plus loin que la description mathématique, et limitée à la densité, de Friedmann, ou de Lemaître. Ils imaginent que la température de cet état singulier origine doit, comme la densité, être infinie. Le refroidissement brusque de l'univers ressemble à une trempe métallurgique... Cest dans la fournaise que doivent se former les éléments chimiques, un peu moins de 90% de noyaux dhydrogène, et de 10% de noyaux dhélium, et le reste en abondances bien plus faibles...
Hoyle, qui ne croit pas aux idées de Gamow, ni aux modèles de Friedmann-Lemaître, et qui préfère un univers stationnaire, comme naguère Einstein, se moque ouvertement de la théorie de Gamow, et par dérision lui donne le nom de Big Bang... Mais Gamow avait aussi le sens de lhumour, et, de cette moquerie, il se fait un drapeau, ô combien médiatique!, si bien que ce fut le mot qui, en vérité fit la fortune de lidée.
En même temps (1951) le pape Pie XII, sexprime longuement sur ces questions, à un point de vue plus métaphysique que physique : pour lui, le Big Bang , cest le fiat lux... Le Big Bang a le vent en poupe, et ceux qui, dans la tradition dEinstein, en montrent les difficultés narrivent pas à se faire entendre, ni publier, sinon dans des revues peu lues. Ils sont franchement dénigrés, et oubliés.
Fin provisoire de lhistoire du "vieux Big Bang"...
La théorie de Gamow et de ses coauteurs fait lobjet dune série très complète darticles. Bien entendu, elle rend compte de lexpansion, son postulat de base... Elle permet aussi de prédire la composition chimique de l'univers, et lexistence dun certain rayonnement de fond de ciel, rayonnement dun four, dont la température, évaluée par ces auteurs, aurait une valeur To comprise entre une fraction de degré et quelques degrés absolus (un four très froid et donc observable seulement dans le rayonnement radio de haute fréquence). Pour décrire et prédire ces trois types de faits dobservation, dits d importance cosmologique (mais il y a bien dautres faits dimportance cosmologique!) il reste des paramètres libres dans la théorie; la densité moyenne de l'univers, ro, dont nous ne mesurons quune valeur limite inférieure, et la constante qo de décélération qui mesure la variation de H, peut-être décelable pour les décalages importants vers le rouge. Ces paramètres étant correctement ajustés, la théorie rendra compte de toutes les observations. Mais on voit laspect ad hoc de ces calculs... Dautre part, si le rayonnement de fond du ciel avait été de fait observé par Mc Kellar en 1941, indirectement, il ne lavait pas encore été directement, et le travail de Mc Kellar était peu connu... Ceci explique que beaucoup déminents astronomes aient beaucoup douté à cette époque, de la théorie de Gamow.
En 1964, la découverte de ce rayonnement dans les ondes radio millimétriques, par Penzias et Wilson, la mesure de son spectre, toutes les mesures ultérieures, montrent quil sagit bien dun rayonnement de corps noir de 2.735 K, et tout cela conforte lidée du Big Bang. Vers la fin des années 60, le dogme est universellement accepté. En fait cest à ce moment-là que commencèrent les difficultés! Car qui pouvait dire que lon connaissait bien la physique de ce milieu initial à des températures et des densités si élevées? Et dautre part, ny avait-il pas comme une façon nouvelle dintroduire dans la théorie physique lidée métaphysique de création? Enfin la constante de Hubble, même très bien déterminée après les travaux de Sandage, de de Vaucouleurs et de bien dautres, donnait un âge de l'univers encore trop court pour saccommoder facilement de lâge des amas globulaires détoiles de notre Galaxie, alors évalué à 15-20 milliards dannées.
Le nouveau Big Bang
Face à toutes les difficultés, il fallut élaborer de nouvelles théories des origines. Que sest-il vraiment passé dans la faction de seconde infime qua été lexplosion? Que pouvait dire la physique?... Les physiciens ont cherché à expliquer pourquoi le rayonnement de fond du ciel, que lon continua de mesurer après Penzias et Wilson, était si isotrope, cest-à-dire parfaitement le même dans toutes les directions (une fois corrigé des effets du mouvement du Soleil dans notre Galaxie, alors que la distribution des galaxies elles-mêmes est loin davoir cette isotropie). Cela était inexplicable dans le Big Bang standard classique. Il fallut explorer des théories physiques difficiles, réintroduire la constante cosmologique, inventer linflation, qui en une infime fraction de seconde divise par des milliards de milliards de milliards la densité de lunivers, avant que lexpansion ne se stabilise; il faut faire intervenir des particules élémentaires nouvelles, quarks, et gluons notamment, stables à ces très hautes températures; il faut viser à lunification de toutes les interactions fondamentales, à de très faibles distances; car il semble inconcevable que les forces de la gravitation ne se confondent pas avec celles de lélectromagnétisme ou avec les interactions internes au noyau. Cest la théorie de la Grande Unification(GUT)... On imagine un univers en quelque sorte idéal, dit supersymétrique(SUSY). Bref on introduit une nouvelle physique. Avant quentre en jeu cette nouvelle physique, on a affaire à une espèce dunivers quantique ultra-dense, et lon manque tout à fait aujourdhui didées capables den décrire le comportement. Dans cette soupe primitive, qui aurait duré depuis ? - très longtemps peut-être! - , l'univers SUSY apparaît, issu dune fluctuation commandée par la physique statistique des échanges quantiques... Bref, toute une physique nouvelle, est en train de sinstaller, très difficilement. Restent les paramètres, quil faut ajuster aux mesures, ro, qo, connaissant seulement Ho, et To, et la composition chimique en éléments légers de l'univers... On a construit ainsi un nouveau Big Bang, très rafistolé par rapport à lancien, beaucoup moins simple, et qui semble, au prix dune physique que, personnellement je trouve abusivement arbitraire, justifié par des soucis délégance, un peu comme la physique pythagoricienne, comme les épicycles de Ptolémée, ou les polyèdres de Kepler... Et ce modèle ne me satisfait pas. Il me satisfait dautant moins que lune des clefs de voûte du Big Bang (old ou new) reste le rayonnement de fond de ciel. Or, longtemps avant Gamow, divers auteurs, Guillaume en France, Regener ou Nernst en Allemagne, Eddington en Angleterre, Findlay-Freundlich et Born, en Écosse, avaient prédit le rayonnement isotrope de fond de ciel, avec une précision bien meilleure que celle de Gamow, en supposant simplement (comme Einstein) une durée de vie infinie à l'univers; auquel cas, le rayonnement issu des étoiles se dilue, arrive à un état déquilibre unique, que lon peut calculer, et sans que la théorie admette d'autres paramètres que les données brutes de lobservation du ciel actuel... Cela veut dire que le rayonnement de fond de ciel à 2.7 K nest pas un fait dimportance cosmologique; il ne permet pas de trancher entre des théories opposées...
Cosmologies nouvelles
Le caractère très peu physique du old Big Bang, le caractère très artificiel du new Big Bang, le peu de valeur probante des observations considérées comme les plus cruciales en faveur de lun ou de lautre, ont fait chercher des solutions alternatives au Big Bang.
Un premier type de solutions a été proposé par Burbidge, Hoyle et Narlikar (BHN), suivant une idée plus ancienne de Hoyle et Bondi : celle dun Univers quasi stationnaire. L'univers de BHN oscille entre deux densités extrêmes, finies. Il explique tous les phénomènes connus déjà cités, avec moins de paramètres arbitraires, et de façon aussi bonne, voire meilleure que lun ou lautre des Big Bangs. Cet univers implique une création continue de matière. Des quasars de matière jeune sont éjectés de chaque galaxie, à intervalles, et ont des décalages spectraux anormaux très élevés. Lexistence de ces décalages a été prouvée par des dizaines dobservations (Arp); elle contredit complètement le Big Bang. Mais pour les expliquer, il faut faire ici encore appel à une nouvelle physique encore difficile à comprendre.
Par ailleurs, si BHN admettent la réalité de lexpansion, dautres auteurs (après Zwicky et Belopolsky il y a plus dun demi siècle, Findlay-Freundlich, vers 1954, puis Vigier et moi-même, vers 1972, et bien dautres depuis) défendent lidée de la fatigue de la lumière. En voyageant dans lespace, la lumière interagit avec le milieu traversé, avec les particules du vide intergalactique, avec les champs gravitationnels qui lhabitent, avec les ondes qui le parcourent, ... avec... que sais-je?; la lumière perd de lénergie de façon proportionnelle à la durée du trajet : cest la loi de Hubble, prédite très simplement. La théorie de la lumière fatiguée, comme celle de BHN, admet un univers stationnaire, mais sans oscillations, et explique aussi bien les abondances des éléments et le rayonnement de fond de ciel. De plus, elle na pas besoin dadmettre un univers homogène et isotrope; elle est compatible avec lobservation dune certaine hiérarchie (étoiles, galaxies, amas de galaxies, super-amas, hyper-amas), dont la densité moyenne décroît quand on passe dune de ces structures à la suivante; ce qui interdit, cest clair, la définition même dune densité moyenne de l'univers... Mais, là encore, la physique de la fatigue est inconnue. Les photons de lumière devraient au repos avoir une masse non nulle. Or, on nest jamais parvenu à la mesurer. Elle est, de toute façon, infime.
Il y a de fait bien dautres cosmologies, souvent très plausibles et respectables, et bien dautres, qui relèvent de la fantasmagorie ignorante. Sans les citer, jai voulu simplement montrer que le domaine est loin dêtre clos; que lon ne doit y accepter passivement aucun dogme nouveau (Big Bang par exemple).
On en est là, en plein débat. Chacun se croit sûr de son fait. Les non-dits de caractère métaphysique jalonnent cependant la discussion. Tant il est vrai quaux franges de la science, les progrès sont parfois lents et hésitants. La cosmologie reste un domaine ouvert, où le chercheur lui-même, tout en se fondant sur une aussi bonne physique que possible, doit rester au courant des observations, de la physique nouvelle, des idées des autres.
Jean-Claude Pecker, astrophysicien, membre de lAcadémie des sciences, professeur au Collège de France. |