Cercle Zetetique

Le Code de la Bible

Éxagérations d'éxégètes

Dossier réalisé par Patrick Berger.

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D'après Michael Drosnin, le 11 septembre 2001 est le début d'un compte à rebours vers l'Apocalypse.

Le journaliste américain Michael Drosnin est l’auteur du best seller mondial, La Bible : le code secret. Dans ce livre, il rapporte que de nombreuses prophéties sont codées dans le texte hébreu de la Bible. Pour les révéler, il fait appel à un programme informatique mis au point par un mathématicien israélien et son équipe. Ce programme révèle, entre autres, la disparition des dinosaures, l’arrivée d’Hitler au pouvoir, l’assassinat de JFK et surtout celui de Yitzhak Rabin. Ce dernier aurait été prévenu par Drosnin de son destin tragique trois ans avant l’attentat. En vain.

Quand deux avions percutent les tours du World Trade Center, Drosnin est dans son appartement new-yorkais. L’événement est de taille et le journaliste saute sur son ordinateur pour en chercher le « code » dans la Bible. Il lit alors sur son écran les expressions « jumelles », « tours », « avion », « il a causé la chute » et « deux fois ». C’est ainsi que commence sa seconde étude de la Bible. En 2003, il publie un nouveau livre sur le sujet, La Bible : le code secret II , où il annonce l’Apocalypse qui débutera par une guerre nucléaire au Proche-Orient dès 2006.

Délire d’un journaliste ? Prédiction scientifique ? Une chose est sûre : impossible de trancher sans comprendre en quoi consiste le « code secret » de la Bible.



Genèse d’un code

L’idée que la Bible recèle une structure mathématique profonde n’est pas neuve. Cela fait des siècles que les hommes cherchent à unir la beauté de l’absolu mathématique et le plus connu des textes religieux. Le mouvement mystique de la Kabbale plonge ainsi ses racines dans le judaïsme primitif et s’épanouit au XIIIe siècle. Ses adeptes se consacrent à interpréter la Bible en associant un code, un symbole, un chiffre à chaque lettre de l’alphabet hébreu. Plus récemment le mathématicien russe Yvan Panin (1855-1942) est resté célèbre pour ses recherches sur la structure numérique de la Bible. Ses résultats surprenants amènent même ce nihiliste non-croyant à se convertir au christianisme. Un de ses contemporains, le rabbin Michael Ben Weissmandel mène lui aussi des recherches sur l’Ancien Testament. Parmi ses élèves Eliyahu Rips reprend ses travaux avec l’aide de l’informatique au début des années 80. Son équipe et lui découvrent alors de nombreux messages dans la Torah (les cinq premiers livres de la Bible juive) : le « code secret de la Bible » est né.


Comment décoder à pleins tubes ?

La technique de décodage est simple : il faut chercher des mots en sautant un nombre constant de lettres. Un mot est-il codé dans cette phrase ? Eh bien, oui ! Il s’agit du mot « MOT » codé par sauts de 9 lettres comme on peut le voir plus clairement en enlevant les espaces et la ponctuation : u n M o t e s t i l c O d é d a n s c e T t e p h r a s e. C’est le principe de base du « code secret » !

Mais on ne cherche jamais totalement au hasard. La technique consiste en effet à choisir un mot bien précis, suffisamment long et à le chercher en premier. Une fois ce mot trouvé, on cherche d’autres mots dans la zone de texte autour du premier mot. On cherche aussi des dates en associant un chiffre à chaque lettre (sa position dans l’alphabet : a =1, b=2, etc.). C’est ainsi que les tenants du « code secret » arrivent à trouver des « prophéties ». Ils résument alors ce résultat en présentant ladite zone du texte sous forme d’un tableau centré sur les mots des prophéties comme celles que l’on trouve en couvertures des livres de Michael Drosnin.



Eliyahu Rips a développé avec son équipe la recherche intensive des « codes » grâce à l'informatique.


Des découvertes troublantes

En utilisant le « code secret », le mathématicien Eliyahu Rips découvre dans la Genèse les noms de nombreux sages et grands rabbins du premier millénaire de notre ère. Probabilité qu’un tel événement soit dû au hasard ? Moins d’une chance sur 2 milliards, selon Rips ! Six années lui seront nécessaires pour faire accepter un article sur le sujet dans le très sérieux Journal of Statistical Science (1) (1994).

Le décryptage de la Torah continue et les chercheurs israéliens découvrent que de nombreux événements historiques importants y sont cachés. Calculs faits, impossible pour ces messages d’être le fruit du hasard ! Pour preuve, de tels messages ne se trouvent que dans la Bible. En utilisant le procédé du « code secret » on peut certes trouver des mots intelligibles dans d’autres textes mais on ne trouve aucun groupe de mots formant un message aussi clairs que ceux trouvés dans le livre sacré.

S’il est impossible que cela soit le fruit du hasard, les événements « découverts » ont dû être introduits volontairement et ce, plusieurs millénaires avant qu’ils ne se produisent… Sceptique au début, Michael Drosnin dit avoir été convaincu quand Rips lui a montré la prédiction de la guerre en Irak.

Là où certains voient la preuve de l’existence de Dieu, Drosnin, qui n’est pas croyant, penche plutôt pour l’hypothèse extraterrestre. En 1997, il publie son premier ouvrage sur le sujet. Le succès est planétaire et de nombreux mathématiciens et hébraïstes se penchent alors sur la question.

Baleine sous gravier

Pour clore le bec des sceptiques, Drosnin lance un défi dans le magazine Newsweek : « Si ceux qui me critiquent arrivent à trouver dans Moby Dick un message codé annonçant la mort d’un premier ministre je les croirai ». Mais tel est pris qui croyait prendre. Brendan McKay, professeur de mathématiques à l’Université nationale d’Australie, parcourt le texte anglais de Moby Dick et y découvre pas moins de neuf annonces d’assassinat d’un premier ministre…dont celui de Yitzhak Rabin ! Plus impressionnant encore, chacune de ces annonces est accompagnée de mots correspondant à des détails de l’événement. Le clou de décodage de McKay : la mort de Lady Di , codée dans Moby Dick à côté des noms de son amant et du chauffeur du véhicule. Comment expliquer ce résultat surprenant ?

Article de Newsweek dans lequel Drosnin lance son défi aux « sceptiques »

Une affaire de probabilité

La probabilité de trouver un mot à partir de lettres disposées au hasard décroît avec la taille du mot de façon exponentielle. S’il y a un peu moins d’une chance sur 10 000 de trouver par hasard un mot de 3 lettres préalablement choisi, il n’y en a qu’une sur 100 millions pour un mot de 6 lettres et une sur 1000 milliards pour un mot de neuf lettres. Rapporté à des textes ayant une centaine de milliers de caractères, on comprend que l’on puisse trouver certains mots de 4 lettres mais plus difficilement des mots de 7 ou 8 lettres.

C’est oublier un peu vite que l’on ne fait pas une seule lecture du texte. Le code cherche à composer des mots à partir de lettres régulièrement espacées. Ces « sauts » de lettres vont de 1 à une fraction de la taille totale du texte (plusieurs milliers de caractères). On fait autant de lectures qu’il y a de sauts possibles : cela multiplie d’autant les chances de trouver un mot. Il n’est donc pas étonnant de trouver dans la Torah ou dans Moby Dick un mot de 6 lettres préalablement choisi !

Rips et ses collaborateurs se sont trompés en affirmant que des codes élaborés ne se trouvent que dans la Bible. Mais ils n’ont pas nécessairement tort quand ils disent que les noms des sages y sont plus fréquent que la normale. Pour se faire une idée, il faut comparer ce qui est comparable, et donc partir d’un texte en hébreu car cette langue facilite l’apparition de mots codés –voir l’encadré Pourquoi est-ce plus facile avec l’hébreu ? -. Brendan McKay décide d’étudier avec Dror Bar-Nathan une partie du texte hébreu de Guerre et Paix de Tolstoï contenant autant de caractères que la Genèse. Ils obtiennent des résultats identiques, voire meilleurs que ceux des Israéliens… La raison en est simple : les travaux initiaux de Rips comprennent de nombreuses erreurs méthodologiques et des choix subjectifs qui permettent de grossir les chiffres des probabilités –voir l’encadré L’erreur du raisonnement a posteriori-. C’est ce que rapporte un article signé par McKay, Bar-Nathan et deux de leurs collaborateurs (2).


Pourquoi est-ce plus facile avec l’hébreu ?

L’hébreu est une langue qui facilite l’apparition des mots quand on en « décode » un texte. Plusieurs raisons à cela :

  • Tout d’abord, l’alphabet hébraïque compte 22 lettres pour 26 dans l’alphabet roman. Ainsi, à nombre égal de lettres, un mot en hébreu a plus de chance d’apparaître qu’un mot en alphabet roman. Et plus la longueur du mot est importante, plus cela est vrai. Un mot de quatre lettres a par exemple deux fois plus de chance d’apparaître dans un texte aléatoire en hébreu que dans un texte aléatoire en alphabet roman. En effet, il y a 26 x 26 x 26 x 26 = 456 976 combinaisons de 4 lettres romanes pour 22 x 22 x 22 x 22 = 234 256 combinaisons 4 lettres hébraïques (c'est-à-dire environ deux fois moins).

  • Encore plus intéressant, il n’y a pas de voyelle ou presque en hébreu. La plupart des mots sont composés de consonnes et les voyelles sont à « deviner ». Cela ne pose pas de problème à la lecture car ce sont les consonnes qui donnent sens au mot. Mais cela raccourci grandement la taille des mots et rend donc beaucoup plus probable leur apparition lors d’un procédé de « décodage ».

  • Dans le même esprit, un grand nombre de mots hébreux ne sont composés que de trois lettres. Et réciproquement : parmi toutes les combinaisons de 3 lettres possibles, 60% correspondent à un mot en hébreu. Cela veut dire que plus de la moitié des mots de 3 lettres décodés dans la Thora ont un sens…

Indépendamment de ces aspects mathématiques, l’hébreu présente aussi l’avantage d’être une langue peu connue du grand public. Nombre des « prédictions décodées » dans la Bible sont encore plus obscures en hébreu (sens approximatif des mots, fausse grammaire, etc.) et ne trouvent de sens que parce que l’on veut bien leur en donner….




Le Professeur Brendan McKay est l'un mathématiciens qui a le mieux expliqué le code secret de la Bible.


L’erreur du raisonnement a posteriori

Le Pr. Brendan McKay a appliqué à la lettre la méthode de recherche des « codes » dans le texte anglais de Mobby Dick. Il a tout d’abord choisi le mot anglais « OCEANS » et en a recherché toutes les apparitions « codées ». Résultat : 13 905 occurrences !

Il a ensuite cherché d’autre mots à côté de chacune de ces occurrences afin d’obtenir des phrases ayant un sens fort. Dans l’un des 400 premiers tableaux il trouve la phrase « OCEANSHOLDJOY » (« Les océans détiennent la joie »).

Il calcule alors la probabilité que cette phrase soit formée au hasard. Résultat : 1 chance sur 14 millions. À peu de chose près la probabilité de cocher les 6 bons numéros au Loto.

Surprenant ? Ce n’est pourtant que le résultat d’un raisonnement a posteriori.

De la même façon, lancez 30 fois une pièce de monnaie et notez les résultats pile/face. Demandez-vous ensuite (a posteriori) la probabilité d’obtenir un tel tirage. Une chance sur 2 à la puissance 30, soit une chance sur un milliard environ, et ce quelque soit votre résultat. Une chance sur un milliard cela paraît très faible et pourtant tous les lancers réalisables ont cette même probabilité de sortir. La série de pile/face n’est donc qu’une série parmi tant d’autres.

Évaluer une probabilité a posteriori n’a pas plus de ce sens que cela : brandir des chiffres impressionnants à partir d’un résultat banal.


Un texte pas si universel

Drosnin affirme dans son livre que « toutes les Bibles en hébreu actuellement disponibles sont concordantes lettres pour lettres ». C’est totalement faux ! Aucun original de la Bible n’est connu, et parmi les nombreux manuscrits qui en contiennent des fragments, de nombreuses différences existent. Rips et ses collaborateurs ont travaillé à partir du « Codex de Leningrad » qui est une copie postérieure à l’an mil...

Or l’existence de tel message trouvé dans la Torah dépend totalement du choix du texte. Comme les « sauts de lettres » sont de longueur constante, enlevez une ou plusieurs lettres et le message codé  disparaît !

En partant du même codex, d’autres mathématiciens et statisticiens comme le Dr. James Price ont trouvé dans la Bible, des codes « négatifs » comme « Dieu est détestable », « Haïssez Jésus » mais aussi des codes contradictoires : « Il y a un Dieu » et « Il n’y a pas de Dieu ».

L’esthétique du hasard

Derrière l’affaire du « code secret » se cache donc l’erreur classique qui consiste à voir de la structure dans le hasard et à en déduire qu’il s’agit là d’une information. L’origine de cette erreur est simple : nous sommes toujours surpris par l’apparition de formes et de figures lors de processus aléatoires. La forme des nuages ou encore les cratères sur la Lune stimulent notre imagination. Si le « code secret » ne peut être pris au sérieux, chacun peut continuer à s’en amuser. À défaut d’avoir révélé à l’homme l’existence de messages mystiques, Rips et son équipe nous ont offert un nouveau jeu où l’imagination est nécessaire et l’étonnement sont au rendez-vous !

PB


Pour aller plus loin

  • L’excellent livre électronique de M. Klopfenstein, La Bible : le code qui n’est pas secret, est disponible ici.
    Ce livre présente un outil statistique fiable permettant de mesurer le degré de rareté d’un « tableau ».

  • Le site du Pr. Brendan Mc Kay

  • Un résumé de l’affaire à dans le skeptic's dictionary

Références du dossier

1Equidistant Letter Sequences in the Book of Genesis”, par Doron Witztum, Eliyahu Rips et Yoav Rosenberg (WRR), Statistical Science, Vol. 9 (1994) 429-438.

2Solving the Bible Code Puzzle”, Brendan McKay, Dror Bar-Natan, Maya Bar-Hillel et Gil Kalai, Statistical Science, Vol. 14 (1999) 150-173