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Le 29 novembre 1998, M. Lignon a écrit sur son site un article intitulé : NOTE SUR LES FÉES DE COTTINGLEY" dans lequel il se livre à une
critique de la position sceptique relative à cette affaire. Selon lui,
"Il est facile de l'accuser (Conan Doyle) de s'être laissé emporter par
sa croyance vers l'hypothèse paranormale. (...)" ; plus encore, "
prétendre que Conan Doyle a persisté envers et contre tous négligeant
les arguments qui lui étaient opposés" relèverait "carrément de la
malveillance ou de l'ignorance de ce qu'il a écrit".
Bref, les méchants
sceptiques, toujours prompts à dévaloriser leurs adversaires en
utilisant des arguments biaisés, feraient à sir Arthur un "procès
d'intention" qui n'aurait rien de scientifique.
Pour toute démonstration, M. Lignon verse au dossier quelques citations,
qui semblent indiquer que Conan Doyle ne croyait pas béatement aux
histoires racontées par les deux fillettes, comme les sceptiques le
prétendent. Malheureusement, ces citations sont très incomplètes,
parfois tronquées, et ont pour conséquence d'induire le lecteur en
erreur. De la rhétorique du créateur de Sherlock Holmes, l'assistant
toulousain ne retient en effet que les quelques éléments qui paraissent
conforter sa thèse et il caviarde dans le même temps les éléments qui la
contredisent. Procédé facile, qui peut convaincre ceux qui n'ont pas lu
le livre, mais procédé peu glorieux, car il ne vise ni plus ni moins qu'à
tromper le lecteur.
Jugeons sur pièces
- La première citation provient de la page 17 de l'édition française du
livre de Conan Doyle :
"Ce récit n'est pas un plaidoyer de spécialiste
persuadé de l'(sic : lire "de leur") authenticité mais un simple
assemblage de faits dont l'interprétation pourra être
acceptée ou rejetée par le lecteur".
Sur la foi de cette citation, nous serions donc tentés de croire que sir
Arthur s'est contenté de brosser une histoire "de l'extérieur" en ne
prenant pas partie dans la polémique. Il n'aurait été qu'un observateur
non militant, une sorte de "spectateur dégagé". C'est en réalité un
trompe-l'oeil dû à la sélection opérée par M. Lignon, comme le prouvent
à la fois la suite du texte ("Je demande cependant aux personnes
sceptiques de ne pas se laisser égarer par le sophisme qui consiste à
dire que puisqu'un fraudeur professionnel, habile dans l'art de la
contrefaçon, peut reproduire un objet semblable à l'original, celui-ci a
donc été obtenu, lui aussi, de manière frauduleuse.") ainsi que de
nombreuses autres phrases du livre ("je considère, après avoir examiné
toutes les causes d'erreur possibles, que le dossier est recevable" (p.
48) ; "toutes les objections possibles et imaginables ont été formulées
et réfutées" (p. 49) etc.), qui démontrent sans l'ombre d'un doute que
l'auteur était un chaud partisan de l'authenticité des photographies.
- Deuxième citation :
"Cette étrange histoire n'a vraiment rien à voir
avec le prolongement de la vie dans l'Au-Delà" (sic : lire "au-delà").
On se demande bien en quoi cette citation peut démontrer que Conan Doyle
n'était pas partie prenante dans l'affaire. Présentée ainsi, elle semble
cependant établir qu'existait, dans son esprit, une séparation très
nette entre ses croyances spirites et son intérêt pour l'affaire ; c'est
d'ailleurs pourquoi, je pense, M. Lignon nous en gratifie. Or la phrase
entière (p. 18) est la suivante :
"Je serais désolé si mes arguments en
faveur du spiritisme étaient d'une quelconque manière entachés par
l'exposé de cette très étrange histoire qui n'a vraiment rien à voir
avec le prolongement de la vie dans l'au-delà."
La nature de la phrase
change donc du tout au tout, lorsqu'on la lit intégralement. Conan Doyle
ne s'empresse pas d'informer ses lecteurs qu'il met entre parenthèses
ses croyances, pour enquêter sur une nouvelle affaire en toute
objectivité : il les avertit tout simplement que si, un jour, on
découvre que Cottingley était une supercherie, il ne faudra pour autant
rejeter la doctrine spirite, qui ne lui est en rien liée. Ce n'est pas
du tout la même perspective. Le sens est absolument transformé par le
contexte dans lequel la phrase s'insère. Encore faut-il le connaître, ce
contexte, et pour cela, disposer de l'intégralité de la citation.
D'autres citations permettent d'ailleurs plus loin de nuancer fortement
ce qu'avance Conan Doyle relativement à cette prétendue absence de lien
entre Cottingley et le spiritisme. Celle-ci, par exemple ( voir p. 106) :
"une fois que les fées seront légitimées, d'autres phénomènes
parapsychiques seront plus facilement acceptés"
qui prouve que son
intérêt pour les fées n'était pas ce qu'il y avait de plus "gratuit".
L'adhésion aux fées de Cottingley pouvait, de son propre aveu, entraîner
un regain d'intérêt pour le monde de l'occulte et contribuer à la
formation d'un terrain d'accueil pour la doctrine de Kardec. D'où
l'intérêt qu'il y avait, pour les spirites et lui-même, à rendre
Cottingley populaire.
- "Il se peut que les événements racontés dans ce livre dévoilent une
escroquerie fabuleuse". M. Lignon s'offre ici le luxe de produire une
citation à la fois fausse et tronquée.
Sortie de son contexte, sans points de suspension indiquant la coupure,
cette phrase tend à indiquer que Conan Doyle a considéré très
sérieusement la possibilité que l'affaire ait été une entière
supercherie.
Mais, primo, cette éventualité n'a jamais vraiment été prise en compte
par Conan Doyle, c'est-à-dire que jamais il n'a cherché à balayer les
objections des sceptiques en utilisant des arguments rationnels (car il
ne suffit pas de dire : "j'utilise des arguments rationnels" pour que
ceux-ci le soient réellement.)
Et secundo, la véritable phrase est la suivante (p. 21) :
"Il se peut
que les événements que nous allons raconter dans ce petit livre
dévoilent l'escroquerie la plus fabuleuse jamais livrée au public, mais
l'avenir démontrera peut-être, tout au contraire, que ces faits
constituent un tournant dans l'histoire de l'humanité"
Nuance !
En ne citant qu'un membre de la phrase, M. Lignon laisse donc croire que
le créateur de Sherlock Holmes prenait en grande considération la thèse
de la charlatanerie ou du canular. Omettant de reproduire la conjonction
"mais" qui relativise énormément le propos de Conan Doyle, ainsi que le
membre de phrase suivant, il a donc orienté le texte en fonction de la
thèse qu'il entend démontrer, à savoir que Conan Doyle était un
enquêteur objectif et méthodique, ce qui est tout le contraire de la
réalité.
Il est d'ailleurs assez amusant que M. Lignon produise cette phrase,
pour critiquer les critiques (sous-entendu : "les zététiciens ne vous
disent pas tout, mais moi, Lignon, je vous donne la version non
censurée"), alors que j'ai justement placé une partie de cette citation
en exergue de l'article que j'ai consacré à cette affaire.
- "Je ne prétends pas que les preuves soient aussi parfaites que dans le
cas des phénomènes spirites". La perfection n'est pas de ce monde ! Mais
pour comprendre ce que pensait profondément Conan Doyle de l'affaire,
il convient de ne pas se contenter de relever quelques-unes des rares
phrases qui semblent accréditer son soi-disant scepticisme (il se
déclarait d'ailleurs lui-même plutôt "sceptique", comme c'est de
tradition chez les croyants), mais il faut tout rapporter, comme cette
phrase de la p. 102, par exemple, qui nous apprend le fond de sa pensée :
"tous mes doutes quant à l'honnêteté de l'entreprise furent balayés ;
il était clair que ces photos, et surtout celles des fées dans le
buisson, étaient impossibles à truquer"
Vous avez bien lu :
im-po-ssi-ble à truquer. Il est clair, il est évident, il est certain
que Conan Doyle croyait dur comme fer à cette histoire. Il faut avoir la
mauvaise foi chevillée au corps pour oser prétendre le contraire.
- "Les critiques sincères et honnêtes seront accueillies bien
volontiers". C'est un fait que Conan Doyle, contrairement à un certain
Yves Lignon dans une affaire récente (ayant trait à un drap de lin
conservé à Turin), a rapporté fort honnêtement les critiques qui lui
ont été adressées. Le seul ennui, c'est qu'il n'en a aucunement tenu
compte dans sa démonstration. Et c'est précisément ce en quoi il est
critiquable. Pour tout lecteur rompu à la critique de textes, cette
carence argumentaire est d'ailleurs stupéfiante. Tout au long de son
récit, Conan Doyle apparaît comme "hypnotisé" par les photographies des
fées, à tel point qu'il se rend imperméable aux plus sérieuses critiques
qu'il prend soin, dans le même temps, de porter à la connaissance de
ses lecteurs... Le seul et vrai reproche qu'on est en droit de lui
adresser n'est donc pas de s'être intéressé aux fées : il est de n'avoir
pas su mener une enquête avec la méthode que celle-ci requérait... tout
en ayant fait croire l'inverse à ses lecteurs ! (et permis à tous les
Lignon du futur d'en répandre l'idée). Car le romancier britannique
avait la réponse sous les yeux (cf. les réactions sceptiques de l'époque
rapportées dans mon article). Et c'est bien sa cécité de croyant "à tout
prix" qui la lui rendait invisible.
M. Lignon poursuit :
"A condition de le lire en entier et sans parti-pris ce texte permet déjà de constater qu'il n'est pas possible de
ramener tout cela à "En fervent spirite Conan Doyle a pris ses désirs
pour des réalités"
Lire "en entier et sans parti pris", c'est justement ce que M. Lignon
n'a pas fait, comme je viens d'en administrer la preuve. Sur ce point,
il ferait donc mieux de s'abstenir.
Quant aux "désirs" secrets de Conan Doyle, il semble que ce soit bien
eux qui l'aient fait passer à côté des arguments développés par les
sceptiques (qu'il connaissait parfaitement, mais qu'il n'avait
malheureusement pas intégrés dans le fil de sa réflexion).
M. Lignon encore :
"De nouvelles expertises d'un célèbre photographe,
Geoffrey Crawley publiées de 1982 en 1986 devaient contribuer à lever en
partie le voile d'autant qu'Elsie, alors octogénaire, lui avait adressé
une lettre d'aveux. "
Donc Conan Doyle s'était bien trompé sur tout la ligne, comme je l'ai
écrit ?
Non pas, répond M. Lignon. Car
"l'une des cinq photos, celle dite " Bain
de soleil dans le nid aux fées", n'a toujours pas reçu d'explications et
certains spécialistes continuent de juger à son propos le trucage
impossible."
Avons-nous bien lu ? M. Lignon est-il en train de nous dire qu'il croit
en l'authenticité de l'une des photographies de Cottingley ?
Si oui, il serait intéressant que l'on connaisse ses sources au plus
vite. Le Défi Zététique du Million de Francs lui est ouvert. Et
personnellement, rien ne me ferait plus plaisir que de remettre ce Prix
à celui qui aurait prouvé que les fées dansent dans les herbes folles.
Si la réponse est non, c'est encore un coup d'esbroufe de notre
laborieux laborantin, qui espère s'en tirer par une pirouette-cacachuète
en queue d'article.
J'ai bien sûr, sur la bonne réponse à apporter à cette interrogation, ma
petite idée zététique...
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