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Gallipoli : Le régiment perdu et retrouvé.
Article de Paul Begg.
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Cet article de Paul Begg est paru dans « Inexpliqué » (revue par fascicules
publiée par les éditions Atlas en 1981), Volume IV, n° 40, p 792-795.
(article complet, ne manquent que les illustrations qui se contentent
d’évoquer la campagne de Gallipoli sur un plan général).
Cet article, en fait, ne porte pas la mention de son auteur (Paul Begg)
mais sa version initiale en anglais (de la revue « The Unexplained ») a
été reprise sous le titre « Lost, believed kidnapped » (p 64-67) dans
l’ouvrage collectif Out of this world. Mysteries of mind, space and
time, Black Cat, Macdonald & Co (Publishers) Ltd, 1989 où, cette fois,
le nom de l’auteur est explicitement indiqué.
LE REGIMENT PERDU ET RETROUVE
Paul Begg
Après la Première Guerre mondiale, en enquêtant sur la disparition du
Royal Norfolk Regiment, on n'a retrouvé que les corps décomposés de 122
soldats — à peine la moitié des hommes qui s'enfoncèrent dans les
sous-bois en ce jour tragique du 12 août 1915. Que sont devenus les
autres ?
Il nous faut revenir ici au récit des fantassins néo-zélandais qui,
quoique peu vraisemblable, propose néanmoins une explication. Selon les
déclarations ultérieures de trois de ces fantassins, ils virent de
nombreux soldats appartenant au First Fourth Norfolk pénétrer à
l'intérieur d'un étrange nuage qui les emporta dans les airs et ils
situent cet incident le 21 août. Or, nous l'avons dit, le First Fourth
n'a aucunement disparu. Ou le récit en question n'est qu'un tissu
d'inventions, ou il peut expliquer le sort d'une autre unité, le First
Fifth, qui disparut en fait le 12 août.
Beaucoup plus tard — en 1965, est-ce un hasard ? — trois des témoins
décident de coucher par écrit leur témoignage :
21 août 1915.
« Le récit qui suit se rapporte à un incident fort étrange, qui eut lieu
à la date mentionnée ci-dessus, au matin, lors des derniers combats
acharnés livrés sur la colline 60, à Suvla Bay, "Anzac". » Le ciel était
exceptionnellement lumineux; on pouvait s'attendre à l'une de ces
chaudes et belles journées méditerranéennes s'il n'y avait eu six ou
sept petits nuages flottant au-dessus de la colline 60. Ils avaient tous
exactement la même forme — à peu près celle d'une miche de pain. Chose
étrange. en dépit de la brise soufflant ce matin-là (à 6 ou 8 km/h), ils
restaient absolument immobiles, sans s'effilocher ni se déformer. De
notre point d'observation, situé à 150 m d'altitude, ils présentaient
une élévation d'environ 60°. Nous pouvions encore apercevoir,
pratiquement posé sur le sol, un peu plus à droite, un autre nuage
semblable, tout aussi immobile. Exceptionnellement dense et opaque, il
nous sembla mesurer à peu près 250 m de long sur 60 m de large, avec une
cinquantaine de mètres de hauteur; il était à un peu plus de 1 km de la
ligne de front britannique. Tout ceci a été observé par 22 hommes de la
3e section de la 1re compagnie d'infanterie de Nouvelle-Zélande, y
compris par nous-mêmes, de nos tranchées de Rhododendrons Spur, à 1300 m
environ au sud-ouest de ce nuage couvrant le sol. Notre position
dominait la colline 60 de près de 90 m. Le nuage était posé sur ce qui
paraissait être une route défoncée ou le lit d'un ruisseau à sec
(Kaiajik Dere), et nous en distinguions parfaitement les abords. Il
présentait une couleur gris clair, de même que les autres. »
« Nous avons alors aperçu un régiment anglais formé de plusieurs
centaines d'hommes, le First Fourth Norfolk, qui empruntait cette route
ou ce lit de ruisseau, se dirigeant vers la colline 60. Arrivés devant
le nuage, ils pénétrèrent à l'intérieur sans marquer la moindre
hésitation. Mais nous n'en avons vu aucun ressortir à l'autre extrémité.
Pas un seul de ces soldats n'en a surgi pour se déployer sur les flancs
de la colline 60. Une heure peut-être après que le dernier homme eut
disparu à l'intérieur du nuage, celui-ci s'éleva tout doucement pour
rejoindre les autres nuages similaires dont nous avons déjà parlé et qui
étaient restés durant tout ce temps immobiles au-dessus de la colline.
Une fois réunis, ils apparaissaient tous exactement identiques, comme
les moutons d'un troupeau. Dès que le nuage posé au sol les a eu
rejoints, ils se sont tous éloignés vers le nord, en direction de la
Thrace (Bulgarie). Au bout de trois quarts d'heure, ils avaient
complètement disparu du ciel. »
« Ce régiment anglais était porté disparu, et après la reddition de la
Turquie en 1918, les autorités britanniques demandèrent aux Turcs de
libérer cette unité. Les Turcs répondirent que le régiment n'avait
jamais été fait prisonnier et qu'ils ignoraient même son existence. Ce
qui ne fut guère mis en doute, étant donné qu'un régiment. en 1914-1918,
ne regroupait pas moins de 800 hommes, et pouvait même en compter 4 000. »
« Nous, soussignés, en ce jour qui est le cinquantième anniversaire du
débarquement de l'Anzac, déclarons exacts et véridiques les faits
mentionnés ci-avant. »
Signé par les témoins :
- sapeur F. Reichardt, n° matricule 4/165. Matata, baie de Plenty;
- sapeur R. Newnes, n° 13/416, 157 King Street, Cambridge;
- J.L. Newman, 75 Freyberg Street, Octumoctai, Tauranga.
Ce témoignage s'accompagnait d'un extrait d'une certaine « relation
officielle de la campagne des Dardanelles », sans aucune référence, qui
se rapporte à l'événement en question : « lls furent absorbés par un
brouillard d'une densité extraordinaire, lequel brouillard reflétait les
rayons du soleil avec une telle intensité que les servants des pièces
d'artillerie en furent éblouis et ne purent pointer correctement. On ne
revit jamais ces deux cent cinquante hommes. »
Le témoignage des soldats néo-zélandais comporte, nous l'avons dit,
plusieurs erreurs flagrantes. Et en tout premier lieu ce terme
d'« Anzac », qui ne désigne pas un nom de lieu (encore qu'il y ait une
très faible possibilité que les hommes aient ainsi baptisé un site
local). C'est le sigle employé pour « Australia and New Zealand Army
Corps ». Par ailleurs, le First Fourth Norfolk n'est pas un régiment,
mais un bataillon du Royal Norfolk Regiment. On a peine à croire que
d'anciens combattants des Dardanelles aient pu commettre des erreurs
aussi grossières. Faut-il alors supposer que le récit ait été écrit par
quelqu'un d'autre, puis signé ensuite par trois anciens soldats afin de
lui donner un cachet d'authenticité ?
Nous avons enfin signalé auparavant l'invraisemblance majeure de leur
récit : le First Fourth Norfolk n'a pas disparu dans la plaine de Suvla
et il a participé par la suite à d'autres actions militaires. Le seul
bataillon dont on ignore le sort est le First Fifth, et celui-ci ne
s'est pas volatilisé le 21, mais le 12 août. En supposant que les
témoins aient confondu les deux bataillons, il semble hautement
improbable que les hommes du First Fifth aient pu errer pendant 9 jours,
dans la même zone, jusqu'au 21, date à laquelle ils se seraient
engouffrés dans le mystérieux nuage; il est plus vraisemblable
d'imaginer que le sapeur Reichardt qui apparaît comme le témoin
principal, ait mélangé dans ses souvenirs les deux dates : après tout,
21 est l'inverse de 12.
Malgré toutes les recherches effectuées, on n’a pu trouver aucune
mention du « nuage ravisseur » antérieure au témoignage de Reichardt,
exception faite de la prétendue citation d’une « relation officielle »
de la campagne, sur laquelle nous reviendrons. Le récit n’est pas
contemporain des événements puisqu’il fut écrit cinquante ans plus tard,
lors d'une réunion commémorative d'anciens combattants. Il paraît
curieux que Reichardt et ses compagnons n'aient pas fait un rapport
immédiatement, ou du moins à la fin de la campagne, alors que le
bataillon était porté disparu. Peut-être les Néo-Zélandais
craignaient-ils l'incrédulité et les quolibets de leurs camarades et de
leurs supérieurs ?
Le sapeur Frederick Reichardt, marin de son état, s'était engagé le 8
octobre 1914 dans les forces expéditionnaires britanniques de
Nouvelle-Zélande. Il fut enrôlé dans la 3e section de la 1re compagnie
divisionnaire du génie néo-zélandais. Il s'embarqua pour la presqu'île
de Gallipoli le 12 avril 1915.
La plaine de Suvla est dominée par un demi-cercle de collines
montagneuses s'étendant du nord au sud. A l'extrême-sud s'élève le
massif du Sari Bair, avec trois sommets principaux : Koja Cheman Tepe,
Besim Tepe et Chunuk Bair. La route la plus praticable pour atteindre le
sommet du Chunuk Bair longe le Rhododendrons Spur (« l'éperon des
rhododendrons »). ainsi baptisé par les soldats alliés à cause des
fleurs rouges (qui n'étaient pas des rhododendrons) qui garnissaient ses
pentes. C'est de cet endroit que Reichardt affirme avoir vu disparaître
le bataillon du Norfolk.
A 2,5 km au nord du Chunuk Bair s'élève un petit tertre, dénommé alors
« colline 60 », vers lequel le Néo-Zélandais prétend avoir vu se
diriger les soldats anglais. A 5 km encore plus au nord se trouve la
zone dite Kuchuk Anafarta Ova, c'est-à-dire le théâtre de l'opération de
reconnaissance de la 163e brigade l'après-midi du 12 août.
Si l'on en croit le journal de marche de la 1re compagnie divisionnaire
néo-zélandaise, la 3e section n'occupait Rhododendrons Spur que depuis
le 13 août. Reichardt et ses camarades n'auraient donc pas pu observer
le bataillon du Norfolk depuis cet endroit le 12. Il est possible,
cependant, que la section ait fait mouvement ce jour-là afin d'être en
place le 13 à l'aube, selon les instructions reçues. Enfin, rappelons
que Reichardt se trouvait à plus de 7 km du terrain découvert où
s'avançait le First Fifth. Pour qu'il ait pu voir aussi distinctement
les événements, compte tenu de l'éloignement et de la fumée du champ de
bataille, il devait vraiment jouir d'une acuité visuelle hors du commun
! Le sapeur, toutefois, mentionne seulement la colline 60, ce qui laisse
la porte ouverte à l'hypothèse déjà citée : le First Fifth, désorienté,
pourrait avoir erré, tournant en rond dans la plaine de Suvla et
atteignant enfin, le 21 août, la colline 60, à 5 km de sa position
initiale du 12 août. Rien n'est impossible, évidemment, mais comment
imaginer que le bataillon ne soit tombé à aucun moment sur des Alliés ou
des forces ennemies en pleine zone de combat ?
Il faut avouer que toutes ces graves invraisemblances ne nous incitent
pas à considérer le témoignage de Reichardt comme fiable. Examinons
maintenant la citation, sans référence, qu'il fait d'une certaine
« relation officielle » de la campagne. L'extrait ne se trouve dans
aucune histoire militaire. officielle ou non, mais à l'intérieur du
Final Report of the Dardanelles Commission de 1917 (et qui, précisément,
ne fut divulgué qu'en 1965). On peut lire quelques lignes surprenantes,
peu après le passage relatant la disparition du First Fifth :
« Par quelque aberration de la nature, la plaine et la baie de Suvla
furent enveloppées, dans l'après-midi du 21 août, par un étrange
brouillard. C'était là vraiment jouer de malchance, car nous avions
précisément tablé sur le fait que les tireurs ennemis seraient éblouis
par le soleil déclinant qui éclairerait au contraire avec netteté les
tranchées turques. Au lieu de cela, nous distinguions à peine les lignes
ennemies, alors que nos positions se détachaient nettement à contre-jour
dans cette vive lumière. »
Aucun doute ne semble possible. C'est bien cet extrait qui a servi à
appuyer le récit de Reichardt. Et il est question justement du 21 août !
« Aberration de la nature », « étrange brouillard », « vive lumière »,
voilà certes des mots évocateurs. Ils ne décrivent en fait qu'un
brouillard fort ordinaire — si ce n'est particulièrement dense et tout à
fait hors de saison — et qui vint aggraver l'échec de la plus grande
offensive prévue lors de la campagne.
Pendant cet après-midi, 3000 soldats de l'« Anzac » sont lancés à
l'attaque de la colline 60 (la bataille fera rage pendant toute une
semaine avant que les Alliés ne battent en retraite). C'est vers la fin
de la journée que se produit cette réverbération des rayons de soleil
par le brouillard. Ainsi, les Sherwood Rangers, conduits par Sir John
Milbanke, ne parviennent pas à apercevoir l'ennemi qui. lui, ne les voit
que trop bien et les déloge de leur position.
Il paraît clair, maintenant, que Reichardt s'est inspiré à la fois de ce
curieux phénomène naturel et de la disparition inexpliquée du First
Fifth Norfolk pour concocter son récit. La coïncidence est par trop
étonnante : les deux épisodes sont relatés sur deux pages voisines du
Final Report, livré au public l'année même où le Néo-Zélandais « se
décide » enfin à faire connaître son témoignage !
Néanmoins le sort du First Fifth Battalion n'en est pas élucidé pour
autant. Le mystère demeure entier. Les disparitions sont fréquentes en
temps de guerre. Des 34 000 soldats britanniques portés manquants aux
Dardanelles, 27 000 n'ont pas de sépulture. Combien d'autres «
disparitions mystérieuses » recouvre cette funèbre statistique ?
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