Vous êtes un des spécialistes français de l’effet placebo. Comment vous êtes-vous intéressé à cette question ?
JJA : Ma double formation y est certainement pour beaucoup. Je suis scientifique en tant que pharmacologue et je suis psychologue en tant que psychiatre. L’effet placebo intervient à la croisée de ces deux disciplines. Dès mes premières expériences de praticien j’ai pu m’apercevoir que, dans certains cas, l’effet pharmacologique n’est pas l’essentiel de la guérison. Un exemple. Je me souviens d’un patient qui devait prendre un hypnotique sans quoi il ne pouvait dormir. Un jour, un infirmier lui a donné par erreur de l’extrait d’artichaut -les deux produits ont presque le même conditionnement-. Eh bien notre insomniaque a dormi tout aussi bien ce soir-là ! Cet exemple pris parmi d’autres m’a montré que le psychologique ce n’est pas « rien » en médecine.
Quelle est l’importance de cet effet psychologique, ou « effet placebo », dans le processus de guérison ?
JJA : Il faut préciser avant tout que les effets psychologiques sont inhérents à toute prescription. L’effet placebo intervient donc toujours. Il est en revanche beaucoup plus efficace pour soigner les troubles subjectifs tels que la douleur, l’anxiété, la dépression, etc. Pour mesurer ces troubles, on fait appel à une échelle qualitative grâce à laquelle le patient indique l’évolution du mal qu’il ressent. Pour vous donner une idée, on calme la douleur des polytraumatisés grâce à la morphine. Une dose standard de morphine améliore de plus de moitié la douleur ressentie chez 75% des patients. Eh bien un placebo de morphine administré dans les mêmes conditions fait aussi bien chez 56% des patients !
Quelles conditions sont les plus favorables à l’effet placebo ?
JJA : Plusieurs facteurs interviennent et parmi les plus importants il y a le degré de conviction du médecin. Plus ce dernier est convaincu de l’efficacité du traitement qu’il prescrit, plus l’effet placebo sera fort. La qualité de la relation entre un patient et son médecin est elle aussi essentielle. Malheureusement, c’est un facteur très difficile à évaluer. Grosso modo, on peut dire qu’un médecin bienveillant et compréhensif maximise l’effet placebo et un médecin froid et distant le minimise. L’effet placebo a été très bien étudié dans le cadre des tests cliniques. Lors de ces tests, les administrations de médicaments se font en « double aveugle ». Cela veut dire que même le médecin ignore s’il est en train de fournir le traitement à tester ou son placebo. Il s’agit d’une précaution essentielle pour mesurer objectivement l’effet d’un traitement. En revanche, l’effet placebo est « écrasé » par ce contexte contrairement à ce qui se passe lors d’une consultation chez votre généraliste. Même si l’effet placebo en médecine générale a été très peu étudié, de nombreux indices nous indiquent qu’il y est beaucoup plus important que dans le cadre des recherches expérimentales.
Le succès de l’homéopathie et d’autres médecines dites « douces » est-il un de ces indices ?
JJA : Toutes les études indépendantes qui ont porté sur les traitements homéopathiques n’ont jamais montré que l’effet clinique était supérieur à celui d’un placebo. Il n’est donc pas absurde de penser que l’homéopathie soigne grâce à un merveilleux effet placebo. En effet l’homéopathie est particulièrement efficace dans le cas des maladies infectieuses virales à caractère bénin – celles qui guérissent toutes seules - et dans le cas des troubles fonctionnels chroniques comme les migraines, la fatigue, l’anxiété, les maux de dos, etc. Il s’agit des maux pour lesquels les effets psychologiques ont une importance considérable dans l’évolution et le ressenti de la maladie.
Comment l’effet placebo à l’œuvre dans l’homéopathie peut-il être aussi efficace ?
JJA : La raison est essentiellement sociologique. Tout d’abord, les laboratoires homéopathiques pratiquent le mensonge à grande échelle. Publicité audiovisuelle, désinformation dans la presse, stages de formation pour les médecins au sortir de leurs études, etc. Tout est fait pour convaincre médecins et patients de l’efficacité de l’homéopathie. Ajoutez à cela qu’un médecin homéopathe passe beaucoup de temps à écouter et s’intéresser à son patient pour connaître son « terrain » et vous avez tous les ingrédients qui permettent de maximiser l’effet placebo.
Dans votre livre intitulé Placebo : Chronique d’une mise sur le marché, vous racontez comment vous décidez, fin 2001, de faire distribuer en pharmacie le premier placebo annoncé. D’où vous est venue cette idée ?
JJA : Cela fait plus de vingt ans que je m’exprime sur le sujet des médecines parallèles. Aucun écrit, aucun discours rationnel et critique n’a permis de changer le fond du problème. Dernièrement, le ministère a même décidé de ne plus rembourser certains médicaments jugés « peu efficaces ». L’homéopathie est passée arbitrairement à travers les mailles de ce filet ! Il était donc temps de passer à une autre stratégie. L’objectif : faire aussi bien à grande échelle que l’homéopathie avec un produit n’ayant aucun principe actif, et surtout qui ne le cache pas derrière un théorie fumeuse. J’ai ainsi élaboré un « élixir psycho-actif » auquel j’ai donné pour nom une anagramme de placebo : LOBEPAC.
Comment un placebo peut-il avoir un effet si le patient sait qu’il prend un produit qui ne contient rien ?
JJA : Quand je suis au soleil je me sens mieux. Le fait que je sois convaincu que tout cela est psychologique ne m’empêche pas d’aller mieux en étant au soleil. Soyons clairs. La suggestion joue un grand rôle dans l’effet placebo : c’est l’idée même de la méthode Coué. Si vous pensez que tout va aller mieux, tout va aller mieux. Nombre de personnes connaissent cette méthode dans laquelle il n’y a pas de mensonge. Mais beaucoup ont besoin d’une sorte de « médiation médicamenteuse » pour que la méthode fonctionne. Dans la littérature scientifique, une étude de Park et de ses collaborateurs montrait déjà en 1965 qu’avouer à des patients traités pour anxiété qu’ils prennent un placebo n’annule pas l’effet psychologique lié à la prise de ce « faux » médicament. Il n’est donc pas nécessaire de mentir pour qu’il y ait « effet placebo » !
Quelles ont été les réactions face à votre projet ?
JJA : Il y a deux grands types de réactions, qu’il s’agisse de journalistes, de médecins, de pharmaciens ou de citoyens lambda. Il y a ceux qui trouvent l’idée intéressante et qui attendent avec impatience les résultats de cette expérience à grande échelle. Et puis il y a ceux qui trouvent cela « loufoque », « absurde », « aberrant ». « Commercialiser du vide tout en l’avouant relève de la farce ». Des pharmaciens ont même crié au scandale dans le Moniteur des pharmacies, un magazine spécialisé. C’est amusant de se rappeler qu’Emile Coué, l’inventeur de la méthode d’autosuggestion qui porte son nom, était lui-même pharmacien. Mentir par habitude ou par ignorance en vendant du gelsemium semble donc plus acceptable pour ces pharmaciens que de distribuer du LOBEPAC.
Faire croire à l’efficacité d’un médicament améliore pourtant l’effet placebo. En tant que médecin, ne pensez-vous pas qu’il vaut mieux mentir au patient si cela lui permet de mieux guérir ?
JJA : Encore faut-il me prouver que le mensonge guérit mieux. Globalement la vérité guérit aussi bien pour peu qu’on prenne en compte la dimension psychologique du patient. Ensuite, le mensonge pose deux problèmes. Le premier est juridique. Vendre du mensonge relève de l’escroquerie. Cela dit le grand marché de la baliverne n’a toujours pas été inquiété par la justice. Le second est déontologique. En mentant à son patient, le médecin prend la responsabilité d’enfermer son patient dans un cercle vicieux thérapeutique. C’est pourquoi la mise sur le marché de LOBEPAC a aussi un objectif éthique : ne plus être forcé de mentir à son patient pour le guérir ! |