Nous sommes dans le premier tiers du XVème siècle, en pleine Guerre de Cent Ans. Sous le règne de Charles VI, surnommé le "roi fou", la France vit des heures tragiques. Il y a d'un côté les partisans du duc Louis d'Orléans, les Armagnacs, défenseurs des droits de la dynastie capétienne et de l'autre, ceux de Jean Sans Peur, les Bourguignons, qui soutiennent les intérêts du duché de Bourgogne. L'Angleterre a profité de la guerre civile pour prendre pied dans le royaume des Lys. En 1415, Azincourt a été pour la France une défaite catastrophique qui a décapité la noblesse et provoqué l'installation dans le nord des troupes d'Henri V, lequel ne songe qu'à reconquérir les territoires perdus depuis 1360. Les Bourguignons, qui se sont peu à peu liés aux Anglais, se sentent pousser des ailes. Dans leur lutte acharnée, les deux factions rivalisent d'atrocités. Le duc d'Orléans est assassiné en 1407 et le commanditaire de son meurtre, Jean Sans Peur, qui s'apprêtait à ceindre la couronne royale, l'est à son tour, lors d'une entrevue avec le Dauphin, en 1419. Par peur ou par ambition, après avoir favorisé le parti armagnac, la reine Isabeau de Bavière, mise à la tête du conseil de régence, se rallie aux Bourguignons et, en 1420, concède aux Anglais le fameux "traité de Troyes". Dans cet acte, elle laisse planer le doute sur la paternité du Dauphin qu'elle déshérite au profit d'Henri V, à qui elle donne sa fille Catherine de Valois en mariage et qu'elle fait reconnaître comme "héritier de France".
Apparition miraculeuse d'une héroïneMais la fusion des deux royaumes ne se réalise pas. La mort, à quelques semaines d'intervalle, d'Henri V puis de Charles VI, laisse face à face deux "prétendants" d'un genre un peu particulier : "Henri VI", un bébé de la dynastie des Lancastre qui ne marche pas encore mais qui est reconnu par la moitié nord du royaume, sous occupation anglaise, dont la prestigieuse Université de Paris, les grands seigneurs et les prélats ; le Dauphin Charles, théoriquement "Charles VII", reconnu avec peine dans la partie méridionale du pays -un garçon indolent sinon apathique, peu sûr de sa légitimité depuis les sous-entendus du traité de Troyes. A peser les forces en présence, les Anglais semblent promis à un glorieux avenir dans les délais les plus brefs. Le duc de Bedford, tuteur d'Henri VI, devient régent du royaume. Ses armées paraissent sur le point d'écraser les rares poches de résistance qui subsistent au nord de la Loire, comme la ville d'Orléans. Mais le mois de février 1429 va marquer un tournant décisif dans le déroulement du conflit. Le 25, à Chinon, le roi Charles, entouré de 300 courtisans parés de somptueux atours, accorde, dans une salle illuminée de 50 torches, une entrevue à une jeune fille des marches de Lorraine qui se dit inspirée par Dieu. Elle prétend mener les armées à la victoire. Est-elle folle ? Le Dauphin ne le pense pas.La petite paysanne parvient à gagner sa confiance. Elle obtient assez vite des troupes avec lesquelles elle part sur-le-champ "bouter les Anglais hors de France"... Le plus surprenant, c'est que son apparition coïncidera avec la reconquête progressive des territoires envahis. L'histoire a enregistré cette adolescente sous le nom de "Jeanne d'Arc". Qui est-elle ? D'où vient-elle ? Comment expliquer cet incroyable retournement de situation ? En face de "l'histoire officielle" s'est dressée une thèse, sur laquelle les dictionnaires, les encyclopédies, l'enseignement et les médias seraient réputés "faire silence"...
"Bâtardisants" et "Survivistes"
Cette histoire silencieuse recouvre deux courants. Le premier en date fut essentiellement animé par Jean Jacoby (qui en fut le promoteur), Edouard Schneider et Jean Bosler. Pour eux, Jeanne n'était pas la fille de Jacques d'Arc et d'Isabelle Romée; par sa naissance, elle appartenait à la Maison d'Orléans, ce qui expliquerait son statut, sa connaissance de la Cour et du monde des armes (ce sont les "bâtardisants"). Le second, lancé par Jean Grimod, reprend l'argumentation précédente et lui donne un prolongement insolite. Partant du fait que, princesse royale, Jeanne n'aurait pu être brûlée à Rouen, cet auteur assure qu'on la fît évader et précise qu'on retrouve sa trace quelques années plus tard, mariée à un chevalier lorrain, sous le nom de Jeanne des Armoises.Cette thèse, fusionniste, bénéficie depuis les années 50 d'une certaines popularité parmi des "historiens" qui se baptisent "dissidents", tels que Jean de St Jean, André Guérin, Gérard Pesme, David-Darnac, Pierre de Sermoise, Florence Maquet, Robert Ambelain, Etienne Weil-Reynal ou encore André Brisset ; Yann Grandeau, dans son magnifique ouvrage Jeanne insultée, leur préfère le surnom de "survivistes". Sur quoi les uns et les autres fondent-ils leur démonstration ? Sur une série de faits apparemment troublants, qui, à les en croire, forment un "faisceau de présomptions" difficilement contestable. En voici les plus marquants, répartis en 11 points.
Un état civil bien suspect...
La somme de tant d'arguments convergents laisserait groggy le plus sceptique des rationalistes. On le serait à moins : tout semble se tenir. Tous les faits s'éclairent et semblent, pour une fois, s'enchaîner logiquement. Mais pourtant, de ce bel édifice, de ces déductions si fines... rien ne subsistera, aprèsconfrontation avec les faits.
L'absence de nom?Il est parfaitement exact que Jeanne n'ait pas porté le nom "d'Arc" de son vivant. Mais c'est pour une raison fort simple. A son époque, la coutume veut que l'on accole à son prénom le nom du lieu de résidence ou d'origine (Jehannette de Domrémy, par exemple), ou encore un surnom qui évoque une activité particulière (la mère de Jeanne s'appelait Romée, en raison d'un pèlerinage qu'elle avait effectué en la ville de Rome). De plus, dans le royaume de France, il faudra attendre le XVIIe siècle pour que les femmes portent le nom de leur mari et les filles celui de leur père. En ce XVe siècle, rien de définitif n'a encore été décidé par les autorités et chaque village a ses coutumes. Il est ahurissant que les "bâtardisants", raisonnant comme si le procés se déroulait à l'époque moderne, feignent de l'ignorer pour en tirer des conclusions tendancieuses. A moins qu'ils l'ignorent vraiment, ce qui ne constitue pas une circonstance atténuante. Contrairement à ce qu'ils disent, Jeanne ne cherche pas un seul instant à cacher ses origines. Le 21 février 1431, elle confie au juge, sous serment et sans le moindre embarras, qu'elle est née au village de Domrémy, ajoutant que son père "s'appelle Jacques d'Arc et (sa) mère Isabelle." Inutile de se torturer l'esprit sur ce point.
Jeanne d'Arc ne s'est pas rajeunie!Sur cette question, les "bâtardisants", qui n'ont pas saisi précédemment que les progrès de l'état civil ont suivi les luttes entreprises par le roi de France contre les particularismes locaux, font à nouveau les frais de leur ignorance de l'arrière-plan historique. Si Jeanne ne donne pas son âge avec la précision d'une administrée modèle, il n'y faut point chercher malice : c'est tout simplement qu'elle l'ignore avec exactitude, comme toutes les personnes de son temps. Quiconque a eu un jour accès aux archives médiévales sait combien les âges et les précisions de cet ordre demeurent incertains pour cette période, où les registres de baptêmes ou d'état civil ne sont tenus qu'exceptionnellement. Nos détectives se sont certainement passés d'une telle visite, qu'ils ont dû juger inopportune pour des gens de leur valeur! Ce qui aurait tout de même dû leur mettre la puce à l'oreille, c'est que la plupart des témoins des procès prononcent cet "environ" ou cet "à peu près" qui fait naître leur soupçon. Ils auraient pu se demander pourquoi. Mais ils préfèrent affirmer ex cathedra. Affirmer par exemple qu'Hauviette de Sionne a 45 ans en 1456. Comment peuvent-ils en être si sûrs? Est-ce d'ailleurs par pur hasard que le témoignage de cette Hauviette est si souvent invoqué? Sans doute pas, car les 115 autres dépositions et notamment celles des parrains et marraines de l'accusée (celles et ceux qui l'ont donc portée sur les fonds baptismaux) confirment unanimement l'âge donné par "l'histoire officielle". Il y aurait encore la "dame Béroalde de Verville"? A son propos, Yann Grandeau remarque avec amusement que "si cette dame, qui d'ailleurs était un homme (la bévue est plaisante) assista à l'entrevue de Charles VII et de Jeanne d'Arc (...) ce dut être dans une vie antérieure ; François Béroalde ou Berval (...) ; naquit en 1558." En se reportant au texte, on s'aperçoit en outre que dans l'esprit du chanoine l'âge de Jeanne "se compte par sept" et non comme indiqué plus haut par "trois fois sept"... Tout à l'avenant.
Quelle "escorte royale"?L'escorte et le bébé, voilà au moins du sérieux ! Eh bien non... Faisons bénéficier les "bâtardisants" de la traduction littérale du passage dont ils se font forts de nous restituer la "substantifique moelle" (sans jamais le citer en entier) : "Dans cette nuit de l'Epiphanie du seigneur, lorsque les peuples ont coutume de se souvenir plus joyeusement des actes du Christ, elle (Jeanne) entra dans cette lumière des mortels et, chose admirable, tous les habitants du lieu sont pénétrés d'une grande joie, et, ignorant la naissance de l'enfant, vont çà et là demandant ce qu'il est arrivé de nouveau. Tous les coeurs partagent cette allégresse. Que dire de plus ? Les coqs comme des hérauts de la nouvelle allégresse font entendre, au lieu de leur chant habituel, des chants inaccoutumés et, battant des ailes pendant deux heures, semblent annoncer un événement nouveau." Que dire de plus, en effet ? Où sont passés la haquenée, ses couvertures l'escorte, les flambeaux et le précieux bébé ? Disparus, évaporés! Désinvolture ou escroquerie?
Le statut des bâtards n'était pas celui qu'on croitIl est toujours cocasse de lire les affirmations péremptoires de quelques historiens, ou se prétendant tels, relatives à la vie privée des célébrités du passé. Est-il utile de limiter leurs propos en insistant sur le fait qu'ils ne reposent bien souvent que sur les ragots d'une époque ? Il en va ainsi des relations étroites qui auraient unis Isabeau de Bavière et le duc d'Orléans. On les sait tout deux assez torturés par leur "démon intérieur" ; on relève la fréquence des visites de l'Orléans au domicile de la reine -c'est suffisant pour les coucher dans le même lit. Remarquons tout de même que les documents sont inexistants et que les chroniqueurs les plus sérieux n'ont pas pour habitude d'écrire sous la couche de leur maître. Que le douzième et dernier enfant d'Isabeau lui ait été fait par le roi, par un amant inconnu ou supposé, nul n'en saura jamais rien et il faut s'y résoudre. Passons. Car le fait d'être bâtard, en ces temps révolus, quoiqu'on en pense aujourd'hui, n'était pas perçu comme une infamie, comme en témoigne d'ailleurs la vie du bâtard d'Orléans, le "beau Dunois". Les chroniques royales sont remplies de bâtards royaux, sans qu'aucune censure ne sévisse ; rois et reines les promènent sans complexe et ils ont leur place à la cour ; la société n'est pas choquée, pas plus que l'Eglise, qui entre deux sermons moralisateurs, n'hésite pas à en canoniser certains. De quoi voudrait donc se cacher la reine? Et de qui surtout ? Comme le prouve la Chronique incriminée, l'accouchement n'a pas été clandestin. D'autres auteurs en font mention, comme le héraut Berry ou Jean Raoulet, sans être le moins du monde inquiétés. La réalité de l'adultère n'était pas anéanti par la substitution imaginée, la grossesse la dévoilait assez. Et si adultère il y avait on ne voit pas ce qu'un changement de sexe ou de prénom y changeait. Cette légende de la bâtarde ne provient que de l'Histoire de France en 30 volumes.. Un peu comme la "dame de Béroalde", c'est en effet une source autorisée... du XVIIIe siècle. Soit de trois siècle postérieures aux événements. Le "perspicace" Villaret, comme l'écrit Jacoby, n'est d'ailleurs pas responsable de la modification puisqu'il est mort en 1766 et que le changement intervient dans l'édition de 1770. L'apparition d'une énigmatique "Jehanne" n'est due qu'à une regrettable erreur du typographe. On ne comprendrait pas, sinon, la raison pour laquelle les éditeurs auraient laissé subsister, comme c'est le cas dans la première édition de 1764, la précision que les douze enfants de la reine sont "en nombre égal des deux sexes", soit 6 mâles et 6 femelles, alors que l'apparition motivée d'une nouvelle fille aurait dû leur faire remarquer que la répartition des sexes avait changé (respectivement 5 et 7). Dans l'édition de 1770, on peut d'ailleurs signaler d'autres erreurs, telle cette "Jeanne, duchesse de Bretagne", qui a été confondue avec une duchesse d'Orléans. La relecture de cet ouvrage fut hâtive, sa publication défectueuse : autant de raisons pour que les "bâtardisants" le propulsent "source" et en déduisent un chapelet d'élucubrations. Or le héraut Berry et Jean Raoulet, qui écrivaient, eux, au XVe siècle, confirment l'accouchement d'un fils prénommé Philippe, mort le jour même.
Le "stratagène"Jeanne était loin d'être un "parfait cavalier", contrairement à ce que supposent les bâtardisants. La route lui fut pénible et fatigante et sa chevauchée nécessita de nombreuses étapes. Un médecin délégué par Cauchon fit état de ses parties inférieures abîmées par l'équitation et le manque d'entraînement. Néanmoins, il est fort probable qu'elle n'attendit pas sa rencontre avec le sieur de Baudricourt pour s'exercer à l'équitation. Ses parents avaient un "gagnage", autrement dit une ferme dans laquelle étaient employés pour l'exploitation un certain nombre de chevaux (à la différence du simple "conduit", qui n'en comptait pas). Elle a dû les monter plus d'une fois. C'est méconnaître profondément les usages de la campagne que d'y voir un prodige. Rien de merveilleux non plus dans la langue parlée par Jeanne. La langue dite "française" (= originaire d'Ile-de-France) ne fut sans nul doute imposée qu'avec beaucoup de difficultés; au XVe siècle la multiplicité des idiomes rendait encore délicat le dialogue entre des provinces éloignées. Mais à cette même époque, le dialecte champeno-lorrain, que l'on employait entre autres dans le coin de Domrémy, était un des plus proches de celui parlé en Ile-de France. Il avantageait donc notre héroïne plutôt qu'il ne l'handicapait et elle n'eut aucun mal à s'exprimer devant le roi comme devant ses soldats ou ses juges. Quant à la pratique guerrière, je vois mal ce qui aurait prédisposé une princesse de sang royal à devenir un capitaine victorieux... L'atavisme ? Le "stratagène" est encore inconnu !
Quand la fausse érudition se met au service d'une mystificationJeanne était-elle "de sang royal"? La citation de G. Pesme, par lui traduite du latin, est tronquée. Jeanne n'a jamais prononcé les paroles qu'il lui prête. Correctement transposée en français, l'expression exacte est : "Tant plus seront ensemble du sang royal de France, mieux ce sera ". Le sens en est différent, du tout au tout. Au cours de sa rencontre avec le duc d'Alençon, Jehanne déclare seulement sa satisfaction de voir réunis avant la bataille le roi de France et son cousin. Elle ne prétend pas faire partie de la famille. La version latine ne profite pas aux "bâtardisants"! Jacoby et consorts n'ont rien compris non plus aux règles de l'héraldique qui, comme celles du latin, sont contraignantes :
Nul n'est besoin d'entretenir des sous-entendus biscornus. Tout est clair : le blason de Jeanne évoque le rôle de la jeune fille (l'épée) dans la "reconquête" du royaume (les lys) et non pas son appartenance à la famille d'Orléans. L'argument du "secret de famille" n'est guère plus probant. Imaginons un instant la scène que décrivent les "bâtardisants", Jeanne divulguant à Charles VII, dans l'embrasure d'une fenêtre, qu'elle est sa demi-soeur... A qui peut-on faire croire que cette soudaine révélation ait brusquement plongé le roi dans une indicible joie et lui ait rendu la confiance en lui qu'il avait perdue ? Lui qui doutait de l'identité de son père, cela l'aurait au contraire achevé! Sauf à considérer qu'une femme soit limitée par la nature à n'accoucher que d'un seul enfant adultérin, ce qui, les "bâtardisants" en conviendront, est encore loin d'être un fait établi... Exit, cet argument fallacieux. Quant au "Livre de Poitiers" caché au fond Vatican, il ne vaut guère mieux. Il est dommage que les lettres d'Edouard Schneider, qui sont censées contenir cette révélation, ne fassent pas une seule fois référence à ce rapport, comme il l'a été démontré le 21 mai 1964 lors d'une confrontation publique à Orléans entre G. Pesme et quelques historiens sceptiques.
Les probabilités d'une évasionCauchon était-il de mèche ? Jeanne aurait alors été au coeur d'une vaste conspiration, dont tous les témoins, et en particulier les habitants de Domrémy, auraient nécessairement complices, avec une conscience professionnelle dans le parjure qui étonne en ces temps d'Inquisition féroce et qui doit s'expliquer... par le microclimat de la région! Seulement, si tout le monde fut tenu dans la confidence du secret, peut-on encore objectivement considérer que c'en fût un? Et, si ne n'en fut pas un, le silence des archives ne lasse pas d'étonner. Quant aux fouilles effectuées à l'emplacement de l'ancien château de Bouvreuil, elles n'ont guère mis à jour de fantasmagorique souterrain. Alors, pourquoi avoir masqué le visage de la victime? C'est trés simple : le visage de Jeanne n'a pas été masqué ! Perceval de Cagny, qui soit dit en passant n'assistait pas à la scène, de son propre aveu, fait effectivement référence à un visage "embronché", mais ce mot est traduit de façon erronée. Comme l'indiquent les manuels de linguistique, "embronché", qui peut signifier certes "caché", veut d'abord dire : "mis de travers". Or, une macabre coutume voulait justement que les hérétiques soient conduits au bûcher en portant une mitre que leur bourreau, avec un raffinement sadique se plaisait à placer "de travers". Ce qui fut précisément le cas pour Jeanne. Il n'y a pas à se demander ce qui est le plus voilé, du visage de la condamnée ou de la bonne foi de ceux qui tordent les textes à leur convenance. Les paroles de ceux qui ont assisté à l'horrible scène, Pierre Cusquel, Guillaume de la Chambre, les notaires Guillaume Manchon, Guillaume Colles, Nicolas Taquel et de nombreux autres sont, quant à elles, sans détour et irréfutables. Et l'on n'a jamais retrouvé aucun témoignage de l'évasion, évidemment.
La dame des Armoises, vraie Pucelle d'Orléans...ou "impostrice"?D'abord une évidence : si Jeanne ne s'est pas échappée de ses geôles, comme les actes officiels et les propos des témoins faits sous serments l'attestent, si elle est morte dans les flammes allumées par le bras séculier et si ses cendres ont bien été jetées à la Seine, Jeanne des Armoises est obligatoirement une "impostrice". L'épaisseur des "preuves survivistes" tenant du papier à cigarettes, nous pourrions en l'occurence nous abstenir d'étayer notre réponse. Il n'empêche. Jeanne des Armoises a bien existé, c'est un point que nous ne marchanderons pas. Il est également incontestable qu'elle s'est présentée comme "Pucelle d'Orléans" (il est d'ailleurs piquant qu'elle ait continué à se prévaloir de ce titre après son mariage!). Mais notons d'emblée qu'elle ne fut pas la seule à revendiquer cette identité. Rien qu'en Anjou, les chroniques ne répertorient pas moins de trois! Qu'est-ce qui faisait courir ces "Pucelles"? Le goût de l'aventure, certainement ; l'appât du gain, sans aucun doute ; certaines d'entre elles étaient peut-être aussi de grandes malades. Lorsque Jeanne des Armoises se rend à Orléans c'est en tout cas par besoin, puisque son mari vient de mourir (douteux aussi, celui-là, puisque ses biens ont été confisqués, et qu'il vivait en proscrit à Metz et au Luxembourg -et qu'il continuait à porter le titre de seigneur de Tichemont qui lui avait été retiré). La ville lui baille, c'est vrai, une importante somme d'argent de 210 livres parisis -mais pas les "deux millions" des survivites. Elle n'y rencontre ni sa mère, qui n'y résidera qu'un an plus tard, ni Charles VII (il est drôle, ce Pesme qui nous dit avec l'humilité qui le caractérise : "J'affirme que le roi était à Orléans dés ce moment..." ; comme s'il suffisait "d'affirmer"...). Elle cherche, au contraire, à éviter tout contact avec le roi et quitte la ville dès que l'arrivée de celui-ci est annoncée. Il n'est pas inintéressant de noter qu'au cours de sa courte et prudente visite, elle ne rencontre que des "seconds couteaux" qui ne sont pas plus qualifiés pour répondre de sa véritable identité. Sa ressemblance leur suffit ; son aplomb fait le reste. Le moyen âge est trés friand de ses réapparitions miraculeuses, qui ne surprennent guère un peuple vivant au rythme de la "légende dorée". Jeanne, au demeurant, ne parle que par "paraboles", un exercice qui demande beaucoup d'astuce et une certaine agilité d'esprit, mais qui a pour effet de faciliter grandement l'approximation des réponses. L'aide qu'elle apporte en Vendée à Gilles de Rais, devenu depuis 1438 un nécromancien de la pire espèce, sacrifiant au démon des centaines de jeunes enfants sur lesquels il a auparavant assouvi ses fantasmes sodomiques, ne plaide guère en sa faveur.
Et les frères?Les "survivistes", jamais à cours, soutiennent qu'il est totalement impossible qu'elle ait également réussi à berner ses deux frères. Mais s'agit-il bien de ses deux frères? Si Jeanne des Armoises est parvienue à tromper son monde, pourquoi ne se serait-elle pas entourée d'acolytes tenant le rôle de ses frères? Admettons que ce soit bien les authentiques frères de l'authentique Jeanne. Qui dit qu'ils furent dupes? Peut-être ont-ils opportunément exploité l'événement. On sait que Jean avait sensiblement profité de l'entreprise de sa soeur et qu'il ne se privait jamais de demander des fonds aux villes parcourues. L'impostrice lui servit peut-être quelque temps. Par la suite, il s'en serait écarté. Ce qui est sûr, de toutes façons, c'est que c'est la famille de Jeanne d'Arc, Pierre d'Arc et Isabelle Romée en tête, qui introduisit la cause de réhabilitation quelques dix années plus tard. Pour éclairer cette aventure, il est toutefois indispensable d'insister sur un fait survenu en août 1440, curieusement absent de la démonstration "surviviste" : à savoir l'aveu de l'escroquerie par Jeanne des Armoises, en personne, devant l'Université et le Parlement de Paris! Pierre Sala ajoute qu'elle se confessa devant le roi. Après le récit de son subterfuge, plus personne n'entendit parler d'elle. Elle s'enfonça à nouveau dans les brumes de l'histoire d'où elle n'était sortie que par l'inadvertance de quelques chroniqueurs, plus prudents cependant que les survivistes ont cherché à le faire croire. Après ces quelques précisions élémentaires, que reste-t-il de l'hypothèse en 11 points ? La réponse est aisée : un gros zéro tout rond !
Les rêves de M. le sous-préfetUn dernier point : l'origine des divagations "bâtardisantes". Elle est à chercher dans les vers du sieur Pierre Caze, sous-préfet de Bergerac sous le Premier Empire. Tortilla-t-il "la soie blonde de ses favoris" en répétant vingt fois "Messieurs et chers administrés..." sans que "la suite de son discours" ne lui vînt ? Alphonse Daudet n'y était pas pour nous le dire. Ce que l'on sait, en revanche, c'est qu'en 1805 Caze publia le premier ouvrage qui mettait en scène une Jeanne adultérine et royale sous le titre La mort de Jeanne d'Arc ou la Pucelle d'Orléans. Genre du livret : tragédie. La vraie tragédie, pour le sous-préfet, ce fut que les comédiens sollicités, jugeant le style un peu mièvre et l'intrigue trop décousue refusèrent de jouer la pièce! Paul-Éric Blanrue
HORS-TEXTE
La "thèse classique"La thèse que l'on dira "classique", qui est connue de tous et enseignée par les manuels, peut être ainsi résumée de la façon suivante. Jeanne naît en 1412, dans le village de Domrémy, sur les bords de Meuse. Ses parents, Jacques d'Arc et Isabelle Romée sont laboureurs. A 13 ans, l'enfant entend des voix, qui lui demandent d'aller trouver le Dauphin avec pour mission de sauver la France de l'emprise étrangère. En janvier 1429, après une tentative infructueuse, elle réussit à convaincre le capitaine de Vaucouleurs, Robert de Baudricourt, de la conduire auprès du roi. Après un étrange entretien avec celui-ci, la jeune fille se rend dans la ville d' Orléans, qui représente un des derniers bastion pro-Français en territoire anglais. Elle y contraint les armées ennemies à lever le siège, puis emmène le "gentil Dauphin" à Reims. Le 17 juillet 1429, celui-ci s'y fait sacrer, ce qui rend sa légitimité incontestable. Désormais le roi ne s'en occupe plus et elle tente des coups de force en solitaire. En 1430, devant Compiègne, la jeune héroïne tombe aux mains des Bourguignons qui la livrent aux Anglais contre rançon. Elle est jugé à Rouen par l'évêque Cauchon, condamnée comme "relapse", ce qui lui vaut, dés le lendemain du verdict, le 30 mai 1431, d'être brûlée vive sur la place du Vieux-Marché. Elle sera réhabilitée en 1456, béatifiée en 1909, canonisée par Benoît XV, le 9 mai 1920. Avec l'assentiment des historiens, allant de la gauche communiste à la droite royaliste, les Français ont vibré aux accents de cette épopée formidable, sans remettre en cause, voix à part, les données essentielles.
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