Cercle Zetetique

Le "Suaire" de Lignon : le débat inachevé.

par Paul-Éric Blanrue

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Voici le débat inachevé qui m'a opposé récemment à Yves Lignon. Pour mieux en comprendre les tenants et aboutissants, il vaut mieux avoir lu l'article "le suaire de Lignon" sur le site du CZ. Yves Lignon a consacré une réponse à cet article sur son site.

Ayant pris connaissance de ce texte, voici la réponse que je lui fis :


Monsieur,

On vient de me signaler que vous répondiez, sur le site internet du GEEPP, au petit article que je vous avais consacré, en réponse à votre billet favorable au "suaire" de Turin. Voici mes commentaires relatifs à votre réponse.

1) Définition. Vous avez naturellement le droit de proposer votre propre définition de l'authenticité. Le problème est que votre introduction ne se lit pas comme une "proposition" ("voici ce que, moi, Yves Lignon, je pense de l'affaire..."), mais comme une contrainte logique ("voici comment, objectivement, se présente la question de l'authenticité"). Il est heureux que vous accordiez aujourd'hui que l'on puisse contester la définition que vous proposez. Il serait encore plus heureux : 1) que vous donniez les raisons qui vous semblent l'accréditer, plutôt que de l'asséner comme " allant de soi ", et 2) que vous démontriez que la mienne n'est pas correcte.

2) Chevalier. La faute de frappe que vous alléguez se serait-elle produite à deux reprises, au même endroit (redoublement de "l"), et pour le même nom propre ? Étrange et guère crédible. Concernant la date de 1903, il s'agit, dans votre texte initial, d'une référence précise portant sur un ouvrage précis, et non d'une simple note destinée à éclairer votre lecteur sur les travaux généraux de Chevalier (vous écrivez exactement : "Il existe un travail historique, très rigoureux, publié en 1903 par le chanoine..."). Ce qui prouve que vous n'avez ni lu ni étudié l'ensemble des travaux de Chevalier. Dès lors, qu'est-ce qui vous permet de porter une appréciation sur le savant jésuite ? Et comment pouvez-vous savoir si Marion et Courage, dont vous recommandez la lecture, en brossent une synthèse honnête et impartiale, ce que, justement, je prétends qu'il ne font pas ?

3) Dossier scientifique. Il est parfaitement dommageable que, dans un article (à prétention scientifique) se proposant de faire un tour d'horizon de l'affaire, vous vous contentiez de citer Le Monde et Le Figaro, sans indiquer à vos lecteurs les références de l'article que vous mettez gravement en cause (Nature). De même, vous auriez pu ajouter : 1) que les quelques (très rares et très orientés) statisticiens qui contestent le verdict du British Museum sont eux-mêmes réfutés par l'écrasante majorité de leurs collègues, 2) que les "colloques" que vous invoquez sont le fait des "sindonologues" eux-mêmes, c'est-à-dire des partisans farouches de la relique (souvent intégristes religieux), mais surtout 3) que la datation n'est remise en cause par aucun spécialiste du C14 : c'est là le point essentiel, que vous oubliez de signaler tant dans votre article que dans votre réponse (ce point vous gênerait-il ?). Pour "Up-in-sky", spécialiste de tout et donc de rien, je veux bien argumenter, mais encore faudrait-il savoir de quoi l'on parle, et de quel passage de son livre, précisément, vous voulez que nous discutions. De celui où il annonce, avec sa modestie habituelle, qu'" en une heure et demie, je suis parvenu à passer en revue et à évaluer un siècle de recherche scientifique" (p. 31) ? De celui où il dit qu'"actuellement, plus aucun scientifique ne (..) soutient" la datation au C14 (p.18) ? ! De celui où il écrit (p. 245) que "le Linceul est le signe prophétique sans pareil de la grande crise annoncée comme devant mettre fin à l'histoire humaine..." ? ! ! Je voudrais bien parler de sa démonstration mathématique, mais elle est inexistante... !

4) Eglise. Votre chronologie vaticano-sindonologique était incomplète. La position de l'Église a encore évolué depuis vos dernières dates. Le pape a dernièrement eu des mots assez forts contre les scientifiques qui s'en tenaient aux résultats acquis, suivi en cela du custode de la relique. Ce qui fait que l'Église, en ce moment, est revenue complètement sur ce qu'elle disait en 1988 (de l'acceptation de la datation du C14 à sa remise en cause). Je n'ai fait que rendre compte de cet état de fait. Votre polémique à ce propos est sans fondement..

5) Intégristes. Ce que je me contentais de relever, concernant les " intégristes ", mais il faut se donner la peine de me lire sans idées préconçues, c'est qu'il était piquant que vous qualifiiez de ce terme les défenseurs des résultats de la datation C14, alors que, précisément, dans cette affaire, les intégristes religieux la rejettent unaniment et mènent croisade en ce sens. Je mettais en cause le détournement de sens, le glissement sémantique que vous introduisiez en loucedé, et qui pouvait conduire le lecteur à penser que les intégristes étaient partisans de la datation médiévale, ce qui est une contrevérité flagrante, pour qui connaît le dossier.

6) McCrone et Marion-Courage. Selon vous, la position anti-McCrone de Marion-Courage a été "confirmée depuis". Par qui ? Mystère ! Vu qu'aucune nouvelle analyse officielle n'a eu lieu "depuis" la sortie de leur livre, une telle "confirmation" est plutôt difficile... Vous me demandez de vous signaler quelques erreurs dans le livre de Marion-Courage ? Pourquoi pas. Sans même évoquer le fond du dossier (nous n'en finirions plus) voici quelques perles, au hasard de mes pioches :

  • "Les ostensions se poursuivirent entre 1357 et 1370" (p. 55, bis p. 56) : entièrement faux. De la pure invention. Aucun document n'en fait foi. Les ostensions furent supprimées vers la fin des années 1350 et ne recommencèrent qu'en 1389. A noter qu'Upinsky profère la même ânerie.
  • "Il ( Pierre d'Arcis) affirmait que la relique était fausse : l'artiste était un peintre inconnu, qui avait avoué..." (p. 57). Faux. Pierre d'Arcis ne dit pas, comme les auteurs le sous-entendent, que cet artiste était inconnu. Il se trouve qu'aujourd'hui l'on ne connaît pas son nom, mais cela n'implique pas qu'il était inconnu à l'époque. Le mot "inconnu" ne figure pas dans le mémoire de l'évêque. Le résumé de Marion-Courage est donc biaisé.
  • "Le mémoire de Pierre d'Arcis (...) fut découvert et largement exploité par le chanoine Ulysse Chevalier" (p. 57). " Exploité ", oui, en un sens, puisqu'il l'a fait connaître au grand public ; "découvert" non, puisque le premier à exhumer le document fut le chanoine Lalore, quelques années auparavant (chanoine auquel Chevalier rendit d'ailleurs hommage dans un de ses livres).
  • L'étude du Dr Pierre Barbet serait "la seule étude sur laquelle tous les spécialistes semblent s'accorder" (p. 104). Faux. Sans même parler des sceptiques, qui refusent de lui accorder le moindre crédit (Cf. Baden), au sein même du camp sindonologique, il existe depuis longtemps une autre mouvance, sous la conduite du Dr Zugibe, qui conteste presque toutes les conclusions de Barbet, y compris l'argument des "pouces manquants".
  • (à propos de McCrone) : "il s'avéra que ces traces (de vermillon) n'étaient pas plus abondantes à l'emplacement de l'image qu'à d'autres endroits du linge" (p. 89). Quelle erreur confondante ! Les travaux de McCrone prouvent tout le contraire... Mais qui les a lus ? Pas Marion-Courage, cela crève les yeux. Pas vous non plus, selon toute apparence...
  • ( à propos des "suaires" de Nickell et Broch) "les images obtenues sont déformées et très éloignées de l'image du suaire de Turin" (p. 166). Faux. Il suffit de les regarder sans a priori pour s'apercevoir qu'elles ne sont pas " déformées " (qu'est-ce qui serait déformé ? Le nez ? Les joues ? Les cheveux ? Pouvez-vous me le dire ?) et qu'elles ressemblent étrangement au prétendu suaire de Turin. Notons qu'il existe d'autres reproductions faites avec d'autres moyens (McCrone, par ex.) et tout aussi ressemblantes.

7) Jacques Evin. Ce qui est gênant, dans votre façon d'user de la langue française, c'est qu'elle permet de tromper le lecteur non spécialiste avec des associations de mots qui n'ont pas lieu d'être (comme "partisans du C14" et "intégristes", par exemple). De la même façon, invoquer en renfort, dans un texte favorable à l'authenticité, le témoignage de Jacques Évin, est un peu fort de café, puisque celui-ci a précisément accepté le verdict de la science, malgré ses croyances antérieures. Voici d'ailleurs ce qu'il m'écrivait en date du 9.9.1998, à propos de la polémique amorcée par les anti-C14 : "A mon sens, celle-ci est le fait de gens qui se bouchent les yeux à ne pas vouloir un fait rigoureusement établi (la teneur en 14C du lin qui obligatoirement donne une date médiévale) et qui cherchent tous les arguments sans le moindre bon sens." A bon entendeur !

Bien à vous,

Paul-Éric Blanrue.

PS : Je vous signale qu' un virus s'est fixé dans l'article que vous me consacrez sur votre site. Je n'ose imaginer que vous l'y ayez placé là en toute connaissance de cause. Merci de faire le nécessaire fissa pour qu'à l'avenir ceci ne se reproduise plus. Je vous conseille Norton-anti-virus (mise à jour automatique par internet).


Deux jours plus tard, Yves Lignon m'écrivait :


Monsieur,

Vous m'adressez, à propos du suaire de Turin, une lettre contenant

1) Des arguments semblant, en première lecture, de nature scientifique.
2) Des contresens et des sophismes.
3) Des attaques ad hominem dont le caractère devient indécent lorsque vous vous livrez à ce que vous croyez être un jeu de mots avec un nom propre.

L'usage d'un tel amalgame suffit pour que je me refuse à vous fournir des réfutations de 1) et un relevé de 2). Vous vous dites historien. Si l'on prend ce qualificatif vague dans le sens qui vous est le plus favorable vous ne pouvez ignorer de quelles idéologies se réclamaient ceux qui, dans un passé récent, se sont servi de telles procédures. Comme de plus les autres textes rendus publics sous votre signature confirment que vous êtes coutumier du fait je n'ai pas l'intention dans l'avenir d'entretenir une correspondance avec vous.

Agréez, Monsieur, l'expression des sentiments que votre attitude suscite.

Yves LIGNON


C'était donc une non-réponse à un débat qu'il avait lui-même engagé. Telle fut alors ma réponse :


Monsieur,

Je ne vois pas bien, dans le texte que je vous ai envoyé, à quelles " attaques indécentes " contre votre personne je me livre. Je reste au contraire sur le terrain des faits et je réponds point par point, références à l'appui, à votre tentative d'argumentation.

Seriez-vous incapable d'avancer le moindre argument en faveur de la thèse que vous défendez ? Il faut le croire.

Battez donc en retraite, la queue basse, si cela vous chante, puisque c'est votre seule façon de vous en tirer ! Cela ne surprendra pas les zététiciens.

(C'est assez drôle, entre nous, cette façon de jouer les vierges effarouchées, quand on sait à quelles basses attaques vous vous livrez contre les personnes dans vos différents écrits !)

Bien à vous,

Paul-Éric Blanrue.

P-S : Je vous signale à tout hasard, puisque vous vous piquez de donner des leçons de français, que l'expression " ad hominem " signifie non pas l'attaque " contre les personnes ", ce que vous suggérez, mais l'utilisation d'un arsenal argumentaire " par lequel on confond un adversaire en lui opposant ses propres paroles ou ses propres actes ". Relisez les pages roses !


Commentaire final :

Comme tous ses petits camarades qui ont pour fonds de commerce le paranormal, mis en présence de faits précis et d'une argumentation sérieuse, Yves Lignon jette l'éponge. Dans son deuxième article, il avait bien sûr pris ses précautions, en annonçant à l'avance qu'il refuserait de répondre à tout débat mélangeant attaque contre les personnes et argumentation scientifique. Louable intention ! En fait, il comptait sûrement que j'entame un fulminant article dénonçant son imposture intellectuelle. Manque de chance, je contredis son attente ! Quelle alternative choisit alors M. Lignon, pour sauver la face ? Celle de prétendre que ce texte, bourré de références et terre-à-terre, constitue (quand même) une attaque " indécente " contre les personnes ! Il faut le faire !

A la relecture, le seul " jeu de mot " contenu dans ce texte est celui portant sur le nom de M. Upinsky, traduit par moi en " Up-in-sky ". M. Lignon ne le sait sans doute pas, car c'est un ignorant, mais ce jeu de mot n'est pas mon fait. Eh non, pépé ! De qui est-il ? Mais de M. " Up-in-sky " lui-même, qui ne s'appelle pas ainsi, loin de là, et qui a délibérément choisi ce nom en vertu de ses propriétés symboliques ! Notons d'un autre côté que, question polémique, M. Lignon se pose un peu là ! Il ne se gêne pas, par exemple, pour conseiller des livres qui lancent des attaques virulentes contre les laboratoires qui ont fait les mesures et contre le British Museum qui a réalisé les calculs statistiques, les accusant de conspiration, de tricheries, de mensonges, de faux et usage de faux (je parle notamment du livre de M. Up-in-sky).

Mais cela, c'est " normal ", pour l'assistant de Toulouse. Rien à battre de la réputation des gens ! Ah ! Mais demandez-lui de justifier ces graves accusations ! Jugeant déplacé un jeu de mot portant sur un pseudonyme construit lui-même sur un jeu de mot (ce qu'il ne sait pas parce qu'il ne connait rien du dossier), le Matamore pique un fard, façon novice du couvent des Oiseaux, fait la grimace et se récuse. C'est pitoyable.

Paul-Éric Blanrue.