Cercle Zetetique

La maison "hantée" de Vailhauquès

1- La "Maison qui frappe"

Dossier réalisé par Laurent Puech, du Cercle Zététique du Languedoc-Roussillon.

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Vailhauquès constitue une des affaires majeures du paranormal en France. Elle est exemplaire à plus d'un titre. Par l'attitude des media, qui ont couvert l'événement sans prudence, se laissant aller à quelques titres accrocheurs, certes, mais jouant sur les vieux ressorts de l'irrationnel. Par les interventions des différents enquêteurs, qui ont pu mener des investigations diverses. Mais cette affaire est surtout exemplaire par le débat qu'elle a suscité, et suscite encore, entre sceptiques et tenants du paranormal. Refaire une enquête, avec des éléments nouveaux, 10 ans après n'a pas été inutile. Ce travail permet d'affiner les conclusions d'alors, de mettre les différentes hypothèses en concurrence, et de nous approcher un peu plus de ce qui a pu se passer dans ce tranquille village de l'Hérault.

Des documents inédits

N'ayant pu emprunter "les couloirs du temps" afin de revenir dix années en arrière, nous avons effectué des recherches dans la presse de l'époque. Autres sources, les écrits des différents protagonistes : tous les textes d'Yves Lignon et de ses collaborateurs, celui d'Alain Cuniot. Mais surtout, nous avons eu accès à une pièce fort intéressante du dossier, qui dormait dans les archives de la Gendarmerie de St Gély du Fesc : le Rapport d'enquête que cette brigade, en charge de l'affaire, a établi. On y trouve les procès verbaux des auditions des personnages principaux, les investigations des services de gendarmerie, un relevé des manifestations sonores ainsi que les rapports fournis par Yves Lignon et son "Laboratoire de parapsychologie".

Début janvier 1998, Henri Broch et moi-même adressions une lettre commune au Procureur de la République de Montpellier pour lui demander copie de ce dossier qui, comme tous les dossiers d'enquête de gendarmerie, est placé en archive nationale au bout de dix ans (et devient donc plus difficile d'accès). Nous étions alors à la date limite. Après avoir précisé notre demande, nous la motivions ainsi :

"Cette affaire, et son traitement, ont un intérêt pédagogique certain, tant pour les cours de zététique ("approche scientifique des phénomènes réputés paranormaux") dispensés par le Professeur Henri Broch à l'Université de Nice Sophia-Antipolis, dans le cadre de l'enseignement de physique, que pour la population qui pense encore qu'une maison a bel et bien été hantée durant quelques mois. Un travail de démystification est donc utile, et c'est l'objet même du Cercle Zététique du Languedoc-Roussillon, présidé par Laurent Puech."
Dans un délai extrêmement court (et à notre grande satisfaction), nous obtenions copie de la totalité du dossier.

Afin de compléter notre enquête, nous avons cherché à entrer en contact avec le propriétaire des lieux, Monsieur B., qui n'a jamais donné suite. Sans doute ne souhaite t-il plus parler de cette histoire qui, on le verra, fut éprouvante pour lui et sa femme. L'Adjudant Criado n'étant plus en fonction à la brigade de St Gély, nous avons rencontré l'Adjudant Palacio qui nous a fort aimablement renseigné. Pour la partie géologie, Monsieur Eulry étant partie en retraite et n'habitant plus le secteur, nous n'avons pu recueillir que le témoignage de Jean Claude Gilly, hydrogéologue, celui qui a le plus travaillé sur cette affaire. D'autre part, parmi les témoins directs, Monsieur Francis Attard, alors journaliste à Midi Libre, et Monsieur Paul Bernard, Maire de Vailhauquès, sont aujourd'hui décédés.

Notre enquête s'est poursuivie auprès du service urbanisme de la mairie de Vailhauquès afin de nous procurer un rapport intéressant sur la géologie de cette commune, ainsi que l'Association Climatologique de l'Hérault, laquelle conserve les archives des relevés des précipitations fournis par les stations Météo-France disséminées sur tout le département. Et nous nous sommes adressés directement à Météo-France pour les renseignements complémentaires (relevés des pressions atmosphériques principalement). On verra plus loin le pourquoi de ces recherches.

Environnement et acteurs

Vailhauquès est un village de 1400 habitants (en 1988) se situant à une quinzaine de kilomètres de Montpellier (Hérault). Composé d'une partie ancienne, autour de laquelle se sont ajoutées des constructions pavillonnaires. Séparé par moins d'un kilomètres du corps central du village, et situé sur la route menant à Montarnaud, on trouve le lieu dit du Mas de Lacoste, constitué de quelques maisons. C'est là qu'habitent les époux B., leur fils (16 ans) et le grand-père.

Leur demeure est une ancienne cave à vin, construite soixante-dix années plus tôt, une solide bâtisse au murs épais. Elle n'est attenante à aucune autre construction. Les B. l'ont achetée en 1969 et aménagée petit à petit, tranquillement. En cette année 1987, ils ont tous les deux une cinquantaine d'année. Elle travaille comme femme de service à la maternelle du village, et lui est employé à la Faculté de Médecine de Montpellier. De plus, il s'occupe de l'association Terre des Hommes pour la zone de Vailhauquès. Tous deux sont très croyants.

Chronologie

L'affaire de Vailhauquès débute un soir du mois de novembre 1987, lorsque madame B. entend des bruits sourds dans sa maison. Ne s'inquiétant pas, elle préfère n'en parler à personne. Pourtant, les bruits se répètent, et tous les habitants se mettent à les entendre. Ils apparaissent seulement la nuit. Voici comment les décrit le propriétaire des lieux :

"Ces bruits sont très sourds au départ (que nous situons dans le garage), ils arrivent progressivement, s'amplifient dans l'appartement. Cela peut ressembler à la dilatation d'une cuve en métal ou bien à une dalle de ciment qui tomberait sur le plancher ou bien encore le bruit d'une portière. Quelquefois, la force et la résonance sont invivables."
(Midi Libre 20/2/88)
Et pour ajouter au mystère, il est impossible de localiser la source du bruit. Cependant, les gendarmes présents sur les lieux la nuit du 16 au 17 janvier, si ils confirment la résonance métallique des coups rapportés par de nombreux témoins, indiquent le coté Nord-Est de la bâtisse comme "source" possible (PV de renseignement judiciaire, pièce n°1 du rapport de Gendarmerie). Les nuits de la famille se transforment en cauchemar.

Entre novembre et février, quasiment toutes les nuits sont marquées par le phénomène. Mr B. établit un relevé (pièce n°8 du rapport de Gendarmerie) : entre le 7 décembre 1987 et le 21 janvier 1988, seules 7 nuits resteront calmes. Le record sera de 113 coups pour la seule nuit du 23 au 24 janvier ! (La gazette de Montpellier 5/2/88, Le Monde 16/2/88) Le phénomène est "répétitif" et s'est manifesté à "des heures irrégulières la nuit pendant les premières semaines avant de devenir plus irrégulier" (Extrait du PV de renseignement judiciaire suite à l'audition de G. B. par la Gendarmerie, le 22/1/88).

Devant ce qui leur arrive, les B. sont déstabilisés. On le serait à moins... Ils ne restent cependant pas inactifs.

Première étape, faire constater le bruit par des témoins. Parmi eux, Jean-Marie Boude, qui, le 9 janvier 1988, vers 23h, entend une quinzaine de "coups". Étant employé au Service des eaux, il fait couper la conduite allant de Vailhauquès à Montarnaud durant la nuit du 18 au 19 janvier, de 22h à 6h. Rien ne change : entre 23h20 et 3h30, les coups reviennent...

Ils font aussi appel à Marc Eulry, géologue du Bureau de Recherches Géologiques et Minières (BRGM). Il vient une première fois, la nuit du 16 au 17 décembre. Rien... Il revient la nuit du 14 au 15 janvier. Cette fois, les coups se font entendre :

"Ceux-ci étaient peu audibles au début et très espacés. Au fur et à mesure de leur manifestation, l'intensité de la vibration augmentait et les coups devenaient de plus en plus rapprochés. A l'aide d'un verre plaqué contre le mur Nord-Est du séjour, j'ai écouté la résonance afin d'essayer de la localiser. Cela me semblait provenir du sous-sol de la maison et nous sommes descendus dans la remise.
Il y a eu une interruption courte et le bruit s'est à nouveau déclaré. J'ai alors écouté contre le pilier en béton ancré au beau milieu de la remise et j'ai entendu le bruit de façon plus nette. Il me semblait émaner du sol mais je n'ai pas pu localiser la source qui semblait se déplacer. Tout cela n'est que très subjectif car je n'étais pas en possession de matériel adéquat (...) J'ai conclu qu'il ne s'agissait pas de mouvement de sous-sol susceptible de provoquer des désordres dans la construction et susceptibles de mettre en danger ses habitants.
A mon avis, l'hypothèse du phénomène purement naturel semble devoir être écartée du fait du caractère répétitif et régulier de cette manifestation sonore. Il se peut toutefois que la structure de la maison et les caractéristiques du sol d'assise favorisent la propagation et l'amplification d'une vibration d'origine lointaine."
(extrait du PV d'audition du 6/2/88 de Marc Eulry, pièce n°5)

Toujours sans réponses à leurs interrogations, les B. demande le renfort de la brigade de Gendarmerie de Saint Gély du Fesc, dont dépend la commune de Vailhauquès. Laquelle constate les nombreux témoignages et leur concordance dans la description du phénomène. Ils vérifient aussi que celui-ci n'ait pas été occasionné par un farceur ou quelqu'un cherchant à nuire aux B.. Sans résultats...

Avec l'accord des B., la Gendarmerie contacte le 19 janvier Yves Lignon et son "Laboratoire de parapsychologie". Cet enseignant toulousain se rend sur les lieux le 30 janvier, accompagné de ses collaborateurs Marc-François Michel et Thierry Dupont. Ils recueillent les témoignages des habitants, se livrent à différents tests : générateur aléatoire avec les propriétaires, le fils étant absent, et deux voisins (nous reviendrons plus loin sur cet appareil), vérification de l'existence d'un effet radar parasite (négatif). De plus, ils sont témoins de quatre coups que leur appareillage ne leur permet pas d'enregistrer avec une qualité satisfaisante. Le matériel rassemblé permet néanmoins à l'équipe toulousaine d'être très claire :

"Il s'agit d'un phénomène naturel de type psycho-kinése (action de la pensée sur la matière). Ce phénomène assez rare en parapsychologie est provoqué inconsciemment par les occupants de la maison à la suite d'une brusque décharge émotionnelle consécutive à un conflit avec le voisinage."
(Midi Libre, 1/2/88)

L'équipe annonce son retour prochain avec du matériel plus adéquat.

Cependant, cette "explication" ne satisfait pas Monsieur B. qui décide de faire appel à un exorciste. Virulente réaction de Lignon, qui juge sa présence incompatible avec "certaines pratiques". Cependant, Georges B. fait appel à ses amis prêtres et leur demande de prier pour lui et sa famille. Le soir suivant, il n'y aura que 4 coups, qui paraissent moins forts que les jours précédents (La Gazette de Montpellier, 5/2/88).

Le 6/2/88, Midi Libre ré-ouvre ses colonnes à Jean Vianès, l'ancien chroniqueur scientifique du journal, alors en retraite. Il réintroduit la piste géologique, alors très en retrait dans les esprits, en argumentant que les bruits pourraient être occasionnés par des phénomènes connus sous le nom de "paradoxe de Venturi" et "coup de bélier". Mais qui l'entend ? Nous reprendrons plus loin ses explications.

La venue de Yves Lignon, et ses conclusions, ont en tous cas donné une ampleur nationale à cette affaire. Elle dépasse désormais le cadre de la presse régionale, qui présente Lignon comme la clé du mystère : "Le parapsychologue qui a déjà résolu plusieurs mystères de ce type..." (Midi Libre, 1/2/88 ; "Professeur de mathématiques à l'université Toulouse-Le Mirail (...) [il] est l'un des seuls spécialistes français de parapsychologie" (La gazette de Montpellier, 5/2/88). Le 11 février, Midi Libre annonce le retour de l'équipe en ces termes : "Lignon avec des renforts". Les principales chaînes de télés dépêcheront des envoyés spéciaux. Des magnétiseurs, radiesthésistes, médiums, voyants, exorcistes amateurs rôdent autour de la maison qui devient un lieu touristique pour les promeneurs du dimanche.

En fait, l'équipe est revenue le mercredi 10 février afin de mener une étude plus large. une trentaine de personnes vont assister à ce que Lignon nommera un "exorcisme scientifique". Vous avez bien lu : "exorcisme scientifique". C'est l'expression qu'utilisera l'enseignant toulousain, vers 5 heures du matin, le 11 février, pour qualifier son travail. Et il ajoute qu'"il ne se passera probablement plus jamais rien" (Midi Libre, 12/2/88). Sortie de l'équipe du Laboratoire de parapsychologie de Toulouse...

Le samedi 13/2, toujours dans Midi Libre, Jean Vianès revient à la charge, en précisant comment les phénomènes de "coup de bélier" et "paradoxe de Venturi" pourraient s'articuler avec la périodicité nocturne du phénomène. Ce même jour, Gilly revient sur place avec des assistants. L'un d'eux descend dans le puit de la maison, frappe à plusieurs reprises contre les parois, produisant un bruit dans la maison que les B. décrivent comme identique à ceux qui hantent leurs nuits depuis trois mois...

La presse locale change alors son fusil d'épaule :"La géologie passe, les esprits trépassent " titre La gazette (19/2/88), précisant que les bruits "devraient se résorber lorsque le niveau d'eau du massif aura baissé...", tandis que Midi Libre annonce qu'il n'y a "Plus de mystère à Vailhauquès". Et de poursuivre "Au panier l'ordinateur d'Yves Lignon qui en grand gourou s'est livré à un véritable exorcisme scientifique et coup de chapeau à l'ancien chroniqueur scientifique de Midi Libre..." (Midi Libre, 16/2/88). Cependant, La gazette précise que Lignon pense que l'hypothèse géologique est possible mais pas unique. Pour lui, l'hypothèse de la psychokynèse reste d'actualité.

Et les bruits ? Ils continuent encore longtemps. La gazette du 11 mars 1988 précise que pour la seule nuit du 2 au 3 mars, on en a entendu 80... Cependant, le bruit s'est atténué. Il faudra attendre la mi-mars pour que le silence revienne : "Silence à la maison qui frappe" annonce La gazette du 1/4/88, qui constate que cela confirme l'hypothèse hydrogéologique "Car il fallait ces deux mois de sécheresse pour réguler les réseaux hydrauliques, assécher la terre et vérifier l'influence des pluies exceptionnelles." Cet arrêt des bruits est confirmé par le rapport de gendarmerie :

"Mentionnons que le 28 mars 1988, une communication téléphonique des époux B. nous a permis d'apprendre que les bruits avaient cessé de les importuner depuis plusieurs jours. La disparition de ce phénomène semble devoir être liée à l'assèchement naturel des nappes phréatiques provoqué par le manque de pluie."
Et le rapport de conclure :
"Des diverses investigations entreprises par les différents organismes qui se sont rendus sur place, la thèse du phénomène naturel à caractère hydrologique semble être la plus probable."
(PV de renseignement judiciaire, pièce n°1, feuillet 3).

Deux ans après, les B. déménagent, laissant la place aux propriétaires actuels. Ils n'ont jamais entendu de bruits similaires, cette histoire les amuse beaucoup, et ils sont ravis de vivre dans cette demeure.

Si la disparition des bruits marquait la fin de cinq mois terribles pour les B., cette affaire allait laisser la place à une controverse qui dure encore aujourd'hui.