Cercle Zetetique

La maison "hantée" de Vailhauquès

3- Parapsychologie et/ou Géologie ?

Dossier réalisé par Laurent Puech, du Cercle Zététique du Languedoc-Roussillon.

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La parapsychologie se trouvant dans une impasse, la géologie pouvait faire son retour. Mais avait-elle disparu ? Certes pas. Le 6 février, déjà, un article de Midi Libre signé par Jean Vianès proposait "une explication "terre à terre"". Rappelant que l'activité hydraulique souterraine, bien que fort bruyante, est inaudible

"Sauf si les ondes de choc parviennent à la surface. Elles peuvent être de plusieurs sortes, soit un brusque arrêt du flux, soit par une brusque chute de pression. Le premier est bien connu des plombiers sous le nom de "coup de bélier", expression employée en hydraulique, le second par les spéléologues qui le désignent par "paradoxe de Venturi".

Dans le premier cas, le "coup de bélier" se produit lorsqu'une vanne ou un robinet est brusquement fermé. L'écoulement de l'eau est interrompu instantanément, mais l'énergie cinétique du flux aquatique se transforme en énergie de pression. A l'intérieur du tuyaux se produit une surpression qui s'exerce avec force par un choc très violent sur les parois ainsi que sur le robinet ou la vanne d'arrêt. Ce phénomène engendre ce bruit caractéristique bien connu.

Dans le deuxième cas, le "paradoxe de Venturi" constaté dans les circulations d'eaux souterraines. Il se produit lorsque le conduit d'eau, autrement dit, la rivière souterraine, se rétrécit. A l'inverse du "coup de bélier", la pression diminue mais la vitesse augmente (principe de Venturi). La baisse de pression entraîne le brusque départ de gaz qui, par une implosion d'une puissance inouïe, arrache aux parois des blocs parfois volumineux. Ce que l'on désigne sous le nom de phénomène de cavitation.

Si, dans le dernier cas, l'implosion n'est, en général, pas ou mal perçue depuis la surface, ses conséquences - l'arrachement de blocs et de matériaux aux parois de la rivière souterraine - sont génératrices du coup de bélier. (...)

Si les "bruits" se répètent ainsi aussi fréquemment depuis la saison des fortes pluies, on peut supposer qu'un rétrécissement de la rivière souterraine provoque sans cesse une phénomène de cavitation (Venturi) entraînant les matériaux arrachés qui, plus loin, vont obstruer brusquement la rivière déclenchant le coup de bélier. Celui là, certainement très perceptible, le premier pouvant l'être, si le phénomène est important. (...) Et lorsque le passage sera devenu suffisamment large, ou que les eaux baisseront, les "esprits frappeurs" s'arrêteront."

Jean-Claude Gilly, hydrogéologue au Laboratoire départemental de la D.D.E. confirme l'analyse de Jean Vianès :

"La maison des B. se situe dans un endroit bien particulier. On a derrière une garrigue calcaire très fissurée, où il y a des avens, où l'eau s'infiltre facilement, et puis la maison est construite en aval d'une faille sur des argiles, avec un niveau d'agglomératique, ce sont des cailloux roulés agglomérés. Donc tout de suite, ce qui m'est venue à l'esprit, c'est de voir si il y avait une possibilité de circulation dans le karste (c'est à dire le calcaire qui se trouve derrière la maison) : on sait que lorsque l'eau s'infiltre dans les calcaires, elle circule comme dans des conduites d'eau, dans un tuyau. Ceux-ci ont des diamètres différents, larges ou étroits : lorsque la conduite est étroite, l'eau circule rapidement, à des grandes vitesses, et puis elle arrive dans des parties beaucoup plus large, et là, la vitesse se trouve réduite. Un dépression se crée, avec un claquage et arrachement de matière, ce qui produit des bruits assez spectaculaires. Mais comment ces bruits pouvaient-ils arriver à la maison des B. ? On pouvait l'expliquer par ce banc de colonat, un banc dur, qui transmettait ces bruits jusqu'aux fondations de la maison. Il faut quand même décrire la maison des B., qui est une ancienne cave à vin, très favorable à faire une caisse de résonance. Tout se prêtait pour que la structure amplifie les bruits circulant dans le sol."
(GILLY 1998)

Pour mieux comprendre quel est l'état du sous-sol dans ce secteur, il faut rappeler que le 4 décembre 1985, des mouvements de terrains ont affectés la zone, amenant le B. R. G. M. à mener des études géologiques et géotechniques. Le diagnostic fut énoncé en trois points :

  1. Le mouvement de terrain de décembre 1985 est un effondrement souterrain, suivi d'un affaissement de surface ;
  2. La cause probable de ce phénomène est une rupture du toit d'un secteur fortement karstifié et altéré situé dans la zone de battement de la nappe.
  3. Cet effondrement est lié à un dénoyage prononcé de l'aquifère karstique à l'issue d'une période de sécheresse exceptionnelle : six années largement déficitaires en pluie (1980-1985)

Ces travaux conduisent le BRGM a établir une cartographie des zones à risques de la commune. Si le Mas de Lacoste se situe en zone A ("zone à priori stable"), la maison des B. se trouve 150 mètres en aval d'une zone B ("susceptible d'être le siège de mouvements de terrains associés à des effondrements du karst ou rejeu de grands accidents structuraux") au centre de laquelle se trouve une zone C ("zone fortement karstifiée et/ou fracturée, ayant déjà localement été affectée par des mouvements de terrains importants"). En fait, la colline qui surplombe la maison des B. (et par où passent toutes les eaux de pluie) est un véritable gruyère instable.

Un sous-sol karstique, une habitation dont la structure constitue une parfaite caisse de résonance... Il nous manque l'eau. Les habitants de Vailhauquès se souvenaient bien de fortes pluies en octobre-novembre... Mais que veut dire "fortes pluies" ? Plus fortes que l'année dernière, ou alors des pluies comme il en tombe chaque année à la même période ? Nous sommes allés consulter les relevés pluviométriques. C'est un élément essentiel dans le dossier Vailhauquès, mais, à notre connaissance, aucun des acteurs de cette histoire n'avait fait cette démarche.

L'Association Climatologique de l'Hérault publie chaque année les Annales climatologiques départementales. Elles regroupent tous les relevés pluviométriques de chacune des stations de Météo-France disséminées sur le département. Et nous avons eu de la chance : non seulement il existe une station météo à Montarnaud (cave coopérative), à 2 km à vol d'oiseau de la maison des B., ce qui nous fournit donc des données fiables, mais en plus, cette station a commencé à fonctionner en janvier 1987, l'année où débute l'affaire ! (Peut-être est-ce un signe... :-)

Nous avons pu obtenir copie d'un relevé par décade (cumul sur dix jours). Et savez-vous, sur les 1200 décades composant les 10 années qui vont de 1987 à 1997, la quelle détient le record de pluviométrie avec 253,3 mm ? La première décade d'octobre 1987 ! Avec, pour la seule journée du 10/10/87, 145 mm de pluie... Tout cela, un peu moins d'un mois avant que les premiers coups soient entendus dans la maison.

Mais ce n'est pas tout. Le cumul pour ce mois d'octobre 87 est de 390,1 mm. Ce total, important, se classe en quatrième position de tous les cumuls sur trois décades consécutives en dix ans. Mais, celui de 1987, en plus de comporter la décade record, est suivie en novembre-décembre (Novembre 3 + Décembre 1 et 2) d'une nouvelle série avec 359,2 mm. Aucune des autres séries n'est suivie d'une seconde d'une telle importance.

On peut donc estimer que les fortes chutes d'octobre ont gorgé les sous-sol, avec les conséquences que l'on connaît, et que les réserves ont été réapprovisionnées avec les nouvelles pluies de novembre-décembre. Ajoutez une nouvelle décade très pluvieuse en janvier 1988 (168,1 mm durant la deuxième décade), et vous avez un phénomène qui se maintient dans le temps.

Les géologues avaient prévus la fin du phénomène lorsque la pluie cessant, les réserves du sous-sol seraient épuisées. Bingo ! 7,9 mm de pluie lors de la première décade de février 88, 0 mm durant les 30 jours qui suivirent, à peine 5,2 durant la deuxième décade de mars et 1,2 pour la troisième... C'est à ce moment que les B. signalent l'arrêt des bruits.

Nous avions une maison, parfaite caisse de résonance, bâtie sur un sol propice à des phénomènes sonores... Voila des pluies, exceptionnelles et parfaitement réparties dans le temps, qui complètent le tableau. L'hypothèse géologique se trouve renforcée par tous ces éléments. Il reste pourtant un problème : la "régularité" des bruits.

Jean-Claude Gilly n'exclut pas que certains phénomènes sonores, peu audibles aient pu se dérouler en plein jour. Cependant, il avance l'hypothèse de l'existence d'un siphon, hypothèse partagée par Jean Vianès (ML 13/2/88) :

"En dehors du "coup de bélier" ou du phénomène de cavitation (paradoxe de Venturi) déjà évoqués, des ondes de choc peuvent être produites par la remise en charge d'un siphon.

Une rivière souterraine dévalant vers une dépression, peut la remplir, former ainsi un lac. Son cours remonte ensuite, puis se coude à une certaine hauteur pour poursuivre sa voie. C'est ce coude qui est un siphon et par lequel l'eau s'écoule lorsque le niveau du lac est suffisamment haut. C'est au moment du désamorçage que se produisent des ondes de choc.

Dans le cas de Vailhauquès, on pourrait envisager le cycle suivant :

  1. montée des eaux dans le lac.
  2. amorçage du siphon (avec ondes de choc perçues depuis la surface)
  3. écoulement de l'eau par le siphon jusqu'à l'arrêt de son, débit
  4. montée continuelle des eaux dans le lac, en partie vidé par la brusque aspiration du siphon
  5. remontée des eaux jusqu'au siphon, nouvel amorçage ; ainsi de suite.

Si ce cycle se produit dans un temps proche mais inférieur à 24 heures, il est évident que le réamorçage du siphon et les ondes de choc qui s'en suivent se reproduiront à peu près à la même heure. Ainsi, si les premiers "bruits" ont été perçus durant la nuit, il n'est pas étonnant, si le cycle dure 20 à 24 heures, que les nouvelles manifestations tapageuses se reproduisent durant la nuit.

Il semblerait - si cette hypothèse peut être prise en considération - que le débit de la rivière aurait faibli puisque les bruits sont entendus de plus en plus tard. Ce qui n'aurait rien d'étonnant avec l'arrêt des fortes pluies depuis quelques jours."

La question de la "régularité" relative du phénomène trouve ainsi une explication plausible. La régularité se retrouve dans le phénomène des geysers. Certains, comme le Strokkur (Islande) ont une régularité de 10 à 15 minutes, tandis que pour le Géant (USA) elle est comprise entre 27 et 97 minutes, tandis que pour d'autres, les moments séparant deux jaillissements sont de plusieurs jours, voire mois ou années. Mais il s'agit là d'un phénomène différent de celui étudié ici.

Cependant, on oublit trop vite que la question de la régularité se pose aussi à l'hypothèse parapsychologique... laquelle s'est faite discrète sur ce coup-là.

L'hypothèse géologique est encore renforcée par les résultats de la plongée dans le puits, le 12 février 1988, et l'abaissement du niveau de l'eau. Non seulement, les plongeurs vont, en frappant contre les parois, produire un bruit audible à l'intérieur de la maison, lequel sera identifié par les propriétaires comme étant identique à ceux qui hantent leurs nuits, mais encore l'existence d'une source souterraine est confirmée. De plus, l'abaissement volontaire du niveau de l'eau dans le puits, lequel était soupçonné de jouer un rôle d'amplification des bruits, a permis l'abaissement du niveau sonore des bruits entendus par la suite. Cependant, il se peut qu'il s'agisse d'une simple corrélation, les pluies s'étant raréfiées à la même époque.

Enfin, lorsque Monsieur Gilly a fait part de ses conclusions, lesquelles ont été publiées en page Région de Midi Libre (16/2/88), il a reçu deux témoignages de personnes qui connaissaient un phénomène similaire dans leur propre maison, lesquelles étaient situées sur des sols karstiques (une entre Sommières et Lunel ; l'autre à Poulx, près de Nimes). Eux s'étaient simplement habitués à ces bruits.

On le voit : les éléments en faveur de l'hypothèse géologique sont solides et nombreux. Jean-Claude Gilly, en scientifique, affirme que, vu toutes les conditions qui étaient réunies, cette hypothèse semble être suffisante à expliquer le phénomène dans sa globalité. Mais il "ne peut pas affirmer à 100 % que c'est ça !". Il est vrai que se promener au milieu de conduits karstiques n'est pas chose aisée...

Mais pourquoi les bruits, en dix ans, n'ont plus été réentendus ? Nous avons vu que le niveau de précipitation n'a plus atteint les records qui ont marqué la période étudiée ici. Cela est un premier élément d'explication. Un deuxième réside peut-être dans le fait que la zone de Vailhauquès est géologiquement instable. L'étude du BRGM précise qu'en cas de période de sécheresse, des mouvements du sous-sol dans les zones B et C sont possibles. De faibles changements dans les karstes peuvent modifier radicalement le parcours souterrain de l'eau. Troisième piste, le bruits se seraient reproduits avec une fréquence et une amplitude moindre, de jour, ne permettant pas de les repérer.

Tableau récapitulatif

Éléments en faveur de l'hypothèse parapsychologique Éléments en faveur de l'hypothèse géologique
Résultat du générateur aléatoire du 30/1/88 (Procédure biaisée ; pas de réplication ; résultats trop fragiles pour être pris en considération) Structure de la maison constituant une "caisse de résonance".
État psychologique des propriétaires (Évaluation mal effectuée, et par une ou des personnes sans qualification ) Sous-sol karstique avec de nombreuses failles permettant la pénétration des eaux de pluies en amont de la maison.
Baisse de la température en fin de nuit le 10/11 février (le LPT lui-même souligne que cela peut être causé par l'état de fatigue des sujets) Maison située sur le même banc calcaire que celui se trouvant en amont.
Chute "brutale" de la pression atmosphérique en fin de nuit le 10/11 février (rien ne permet de conclure qu'il y ait eu chute brutale. Au mieux, un déplacement brusque de l'aiguille du baromètre) Pluies record un mois avant le début du phénomène. Puis à nouveau en novembre-décembre. Fin des pluies un mois et demi avant la disparition des bruits.
Dérèglement d'un générateur aléatoire informatique en 1995. (générateur, phénomène et procédure totalement différent de celui de V.) Phénomènes similaires signalés à la même époque dans des habitations construites sur des sols karstiques.
Abaissement du niveau de l'eau dans le puit corrélée avec baisse de l'intensité des bruits.
Plongée dans le puits et reproduction des bruits.
Mouvements de terrains du 4/12/85 confirmant l'existence de cavités importantes dans le sous-sol et dans une zone en amont de la maison.

L'hypothèse géologique est, sans contestation possible, la plus solide et la plus étayée des deux. Principe d'économie oblige.

Déjà, en 1988, le LPT ne pouvait ignorer la force de l'explication géologique. Il réussit évidemment à conserver la parapsychologie envers et contre tout, dans les deux conclusions qu'il a fourni : la première (LIGNON 1988c) dit que les hypothèses géologique et parapsychologique ne s'excluent pas. Elles se seraient donc manifestées simultanément ou alternativement. La deuxième (MICHEL 1988) : "...il semblerait qu'un phénomène géologique, dû à une brusque montée des eaux souterraines en novembre, ait déclenché chez les B. un phénomène de P.K.S.R. observé notamment le 30 janvier." Le poltergeist aurait donc été consécutif au phénomène géologique. Il est vrai que l'on peut mettre du poltergeist un peu partout : un livre en déséquilibre sur votre étagère finit par tomber ? L'hypothèse de la gravitation n'exclue pas l'hypothèse parapsychologique... Un journal, posé sur la table de votre salon de jardin, voit ses feuilles se soulever ? L'hypothèse d'un phénomène due au vent qui souffle n'exclue pas l'hypothèse parapsychologique... Il en faut hélas beaucoup plus pour affirmer la validité d'une hypothèse que seuls ceux qui y croient parviennent à observer (et encore... Voir Susan Blackmore).

"...dans la mesure où elle fait appel à la manifestation de possibilités inconnues de l'être humain l'hypothèse parapsychologique est dérangeante.(...) Il est donc toujours possible dans un cas comme celui de Vailhauquès de vouloir à tout prix que la géologie suffise à tout expliquer (...) car la géologie alors est rassurante. Aussi rassurante que le trou dans lequel l'autruche plonge sa tête."
Y. Lignon (1998)

Sans commentaire :-)