- Pouvez-vous vous présenter rapidement pour nos lecteurs ?
- Philippe Zarka, 38 ans, chargé de recherches en astrophysique au CNRS depuis 1985 (je devrais plutôt dire «écrasé de recherches» car je mène toujours plusieurs sujets de front). Je travaille à l'Observatoire de Paris, à Meudon, où j'ai commencé par la radioastronomie (éclairs d'orages et émissions radio planétaires) pour passer ensuite à la physique spatiale (étude des environnements magnétisés et ionisés des planètes, avec les sondes Voyager, Ulysse, Cassini...) et à la recherche radio de planètes extra-solaires. Passionné de vulgarisation (conférences, articles, ouvrages en chantier), de musique (batteur de jazz), et de tir à l'arc japonais!
- En plus du milieu de l'astrophysique, vous vous êtes fait connaître du public dans la lutte contre les charlatans. Quels charlatanismes combattez-vous? Comment? Avec quels résultats? Quelles leçons avez-vous tirées de ces affrontements?
- Il me semble que le scientifique a peu à dire du charlatanisme d'inspiration «magique» (voyance, divination). En revanche, il doit combattre celui, plus pernicieux, qui se pare de l'apparence de la science et cherche l'amalgame avec elle : pour l'astronome que je suis, l'«ennemi» n°1 est évidemment l'astrologie (qui est récemment allée jusqu'à briguer une chaire à la Sorbonne, heureusement sans succès!). Il ne s'agit pas tant d'affirmer a priori la supériorité de l'approche scientifique pour comprendre le monde qui nous entoure (ce serait bien difficile à prouver), que d'exposer clairement la méthode scientifique, ses avantages et ses limites, et les raisons pour lesquelles l'astrologie (entre autres) y est étrangère. De toutes façons, l'acharnement de beaucoup d'astrologues à vouloir accéder à une «respectabilité» scientifique suffit à prouver qu'eux, au moins, reconnaissent subjectivement la supériorité de l'approche scientifique ! Jusqu'ici, mon action a pris la forme de : - participation à des émissions télévisées, - interviews radiophoniques, - interviews à la presse de vulgarisation scientifique ou généraliste - pétition nationale contre le jeu « Astro (logie, bien sûr) » de la Française des Jeux, - conférence (avec François Biraud) sur l'astrologie à l'observatoire de Meudon, - rédaction et publication des réflexions ayant précédé et suivi cette conférence dans le Journal des Astronomes Français et sur l'Internet. Un ouvrage est en projet. Les résultats sont divers. De manière générale, les émissions télévisées, plutôt du genre «divertissement» que «débat», ont un impact vaste mais très superficiel. On en sort plutôt frustré de ne pas avoir pu tout dire, ou dire assez clairement, du fait de la pression, du brouhaha, etc. Mais je trouve que la politique de la «chaise vide» est pire. Je ne peux pas mesurer l'impact des interviews radiophoniques. Il me semble qu'il n'est pas négligeable si elles se multiplient ou sont rediffusées plusieurs fois. Malgré leur courte durée, je trouve qu'elles offrent un espace d'expression plus favorable que la télévision. Les temps de paroles y sont assez clairement définis et respectés. La conférence à Meudon et la publication dans le Journal des Astronomes Français ont eu un succès certain, mais auprès des collègues seulement, auxquels elles s'adressaient. De même, la presse de vulgarisation s'adresse a un public en grande partie convaincu d'avance ou au moins favorablement disposé. C'est donc à mon avis dans la presse écrite généraliste (voire par l'écriture d'ouvrages à grande diffusion - du type «Domino» ou «Que Sais-Je?») que des interventions aussi fréquentes que possible me semblent les plus efficaces, si on veut vraiment «nourrir ceux qui ont faim ». Mais en fait, le combat ne sera jamais définitivement gagné (ni perdu!), et il faut «cent fois sur le métier remettre l'ouvrage» et poursuivre le combat sur le long terme et sur tous les fronts (TV, radio, interviews, articles, etc.), malgré les inconvénients (temps passé, étiquette pas forcément glorieuse, risque de se faire «ramasser» au cours d'un débat...). L'avantage est que les échos positifs, voire enthousiastes, que l'on reçoit parfois du public, sont un puissant encouragement. L'autre leçon, peut-être plus importante, et que je tiens de mon collègue radioastronome François Biraud, est que pour combattre efficacement une pratique charlatane, il faut bien la connaître, sous peine de se faire ramasser, justement. Car, n'oublions pas que beaucoup de charlatans ne sont pas stupides, et qu'eux passent leur plein temps à peaufiner leurs arguments de vente et à astiquer leurs boulets rouges pour «scientifiques non-avertis».
- Qu'est-ce qui vous a décidé à militer pour la raison ?
- Cette implication dans la lutte anti-astrologique, avec une récente dérive anti-Rabannostradamique, s'est produite par un enchaînement de circonstances, par l'intermédiaire de François Biraud. Ce dernier, radioastronome à Meudon, s'intéresse depuis longtemps à l'astrologie et aux fausses sciences (pour mieux les combattre). Connaissant mon goût pour la vulgarisation et ma volubilité de méditerranéen-du-sud, il m'a aiguillé vers une première émission de TV, qui m'a mis le pied à l'étrier. Des chercheurs de l'Observatoire de Meudon nous ont ensuite demandé une conférence sur l'astrologie, qui a suscité une réflexion plus approfondie, aboutissant aux réflexions sur Internet, et ainsi de suite. Hormis ces circonstances, la raison principale de mon engagement dans ce débat relève simplement de la conscience de citoyen. En tant que scientifique, j'ai accès à une connaissance et des méthodes me permettant de reconnaître et tenter de dénoncer certains charlatanismes. Ceux-ci, comme l'astrologie, exploitent le public, soit directement (consultations), soit à son insu (recrutements, avis aux politiques). On DOIT donc les combattre. Il existe certes des causes plus grandes et nobles, mais celle-ci ne me paraît pas inutile, surtout si elle dépasse une simple opposition stérile (voir plus bas).
- L'État vous aide-t-il? Vous encourage-t-il? De quels moyens disposez-vous ou comptez-vous disposer dans l'avenir?
- Je n'ai pas rencontré d'obstacle institutionnel à mon implication dans la lutte anti-charlatanisme, mais c'est normal dans la mesure où elle ne nuit pas à ma productivité scientifique. Je n'ai pas non plus reçu d'aide ou d'encouragement, sinon de collègues proches. Tout au plus, le CNRS s'est-il ému du manque de sérieux de l'émission télévisée où je tentais de réfuter les prédictions catastrophistes de Paco Rabanne, en notant le peu de place qui y était laissé à un vrai débat. En dehors de cela, les institutions scientifiques, dont la mission n'est pas explicitement de combattre le charlatanisme, font preuve d'une frilosité bien compréhensible et répugnent à investir institutionnellement ce terrain glissant. Bien plus grave est l'attitude de l'État, directement mis en cause par la pétition nationale que nous avons lancée avec Jean Schneider (également de l'Observatoire de Meudon) contre le jeu «Astro» de la Française des Jeux. Les quelques centaines de lettres de soutien et de signatures reçues n'ont pas réussi à éveiller la conscience du gouvernement, que nous mettions en garde contre le caractère obscurantiste, exploiteur sans scrupule, et pour tout dire profondément antidémocratique, d'un jeu présentant l'astrologie de manière ambiguë comme une (semi-) vérité dans l'unique but de faire toujours plus d'argent. La pratique des astrologues et autres voyants rapporte déjà annuellement quelques milliards de francs au gouvernement, et l'article de loi qui assimilait la pratique astrologique à une escroquerie a été abrogé. Fallait-il de surcroît tomber dans une telle médiocrité et abandonner tout sens éthique? Si l'absence de réaction du Ministère des finances (tutelle de la Française des Jeux) n'était pas une surprise, on aurait pu en espérer une du Ministre de l'Éducation nationale ou de la Culture, voire du Premier Ministre. Mais nous n'avons reçu qu'une rebuffade cousue d'un humour pesant de la part du PDG de la Française des Jeux, assuré de la caution passive de notre gouvernement de la République pour ce mercantilisme à courte vue. Il en faut cependant plus pour me décourager, et je compte donc continuer à agir dans ce sens, mais en ne me limitant pas à répondre aux astrologues et autres charlatans. Je crois qu'une lutte efficace doit en outre proposer une alternative à la demande de «merveilleux» de la part du public. Les charlatans lui proposent un rêve frelaté. Les scientifiques, s'ils s'en donnent la peine, peuvent lui apporter un merveilleux autrement plus riche et «vrai» au moyen d'une vulgarisation de qualité et qui n'oublie pas l'être humain. C'est particulièrement vrai en astronomie (les atomes dont nous sommes constitués n'ont-ils pas été forgés au coeur d'étoiles géantes bleues?), et Hubert Reeves y constitue un exemple à suivre et à multiplier. Enfin, la portée d'un discours, aussi bien vers le public que vers les institutions, dépend certainement de la stature scientifique de son auteur. Donc il me semble crucial de redoubler d'efforts pour obtenir des résultats de premier plan dans mes recherches astrophysiques (quelques radio-exoplanètes, peut-être ?). Bref, il y a du pain sur la planche!
- Comment voyez-vous la montée de l'irrationnel dans la société?
- Entre une science qui, dans sa course effrénée, semble ignorer l'humain, et une technologie - souvent amalgamée par erreur avec la science elle-même - qui linquiète et le menace (nucléaire, manipulations génétiques...), il est compréhensible que beaucoup se détournent du rationnel et recherchent le merveilleux. L'homme cherche un sens cosmique à sa vie. Les religions occidentales, en perte de vitesse, ne le lui apportent pas ou plus. Il est tentant d'écouter les sirènes des astrologues, numérologues et autres magiciens, qui offrent (ou plutôt vendent!) l'illusion d'un lien entre l'homme et l'univers, et de surcroît un lien direct et individuel (prédictions personnalisées). Cet aspect individuel explique peut-être une grande partie du succès des pratiques charlatanes, à une époque où la réussite personnelle prime sur les préoccupations collectives (et où le slogan d'une marque de boisson gazeuse connue est «n'écoute que toi!» - sic!).
- Pensez-vous que l'irrationnel touche le monde enseignant? Si c'est le cas, avez-vous des idées pour lutter contre cette tendance?
- Moins que le grand public, je lespère, mais certainement en partie. Les enseignant ne sont pas moins des êtres humains que les autres. Je crois qu'il faut tout faire pour que les citoyens se réapproprient la science, se réconcilient avec leurs scientifiques (plutôt que de les voir comme des ennemis, des apprentis-sorciers ou des demi-dieux) et soient en mesure de peser en connaissance de cause sur les grandes orientations technologiques proposées à la société. Cela demandera aux scientifiques un effort de transmission du savoir, mais qui ne doit pas reposer sur leurs seules épaules. Au contraire, il devra être soutenu par les institutions, et relayé par les médias. Il faut une volonté d'expliquer, mais aussi une volonté de comprendre (plutôt que celle de faire du sensationnel, de monter en épingle telle ou telle découverte encore mal digérée et la jeter en pâture au public avec des explications mal fagotées), et ce de manière soutenue, et non occasionnellement. Les enseignants sont les premiers qui doivent se réconcilier avec la science (au moins ceux qui sont fâchés avec elle). Peut-être faudrait-il mettre l'accent sur l'enseignement de la méthode scientifique plutôt que seulement sur ses résultats factuels. C'est cette méthode, faite d'essais et d'erreurs, de recherche de cohérence et de remises en questions, qui fait la force et la noblesse de la science.
- Le Cercle Zététique est une association qui base sa réflexion sur un scepticisme méthodologique. Aimeriez-vous travailler avec nous sur certains dossiers?
- Je ne connais pas les actions du Cercle Zététique, aussi mest-il difficile de répondre. Ce devrait être possible (dans les limites du «pain sur la planche» ci-dessus - et de 24 heures par jour!) si nos optiques convergent, c'est-à-dire si la démarche du Cercle n'est pas seulement critique (i.e. ne consiste pas seulement à contrer les charlatans), mais propose des alternatives constructives (une vulgarisation de qualité de la science et de ses méthodes). Le Cercle pourrait dans ce cas être un tremplin ou un porte-voix pour les scientifiques prêts à s'investir dans cette démarche. A suivre...
Propos recueillis par François Deumier |