Le 12 août 2003, au cours de l'émission de France 2 « On vous dit pourquoi » présentée par Jérôme Bonaldi et consacrée à la planète Mars, fut diffusé un reportage qui prétendait que des scientifiques étudiaient les ovnis.
Au lieu d'informer le public sur la difficulté d'interprétation des images des sondes spatiales (à titre d'exemple, le faux visage martien ou les photos de pseudo-« végétation » martienne médiatisées encore récemment), l'équipe journalistique de Jérôme Bonaldi a, chose peu habituelle, plongé dans la facilité du sensationnalisme. Sans rapport avec la Planète rouge et la conquête spatiale, ce reportage sur les ovnis (vus sur Terre et non sur Mars jusqu'à plus ample informé) tombait comme un cheveu sur la soupe. A moins que le commanditaire de ce reportage, ne considère que le public en est encore au stade de croire que les ovnis sont des engins pilotés par des Martiens ou bien que « On vous dit pourquoi ? » devait implicitement inculquer au public cette idée, désormais désuète. Encore un exemple d'occasion manquée par un journaliste d'instruire le grand public en expliquant comment et pourquoi certaines personnes confondent parfois des planètes comme Mars, Vénus ou Jupiter, notre satellite la Lune, voire même des étoiles, avec des ovnis et de démythifier les prétendus ovnis vu par des astronautes ou filmés d'une navette. La matière éducative ne manquait pas pour notre chaîne de service public.
Evidemment, le seul scientifique « ès ovnis » présenté fut Jean-Jacques Vélasco, responsable au sein du CNES de Toulouse du mini Service d'Expertise des Phénomènes Rares Aérospatiaux, organisme qui n'est que la continuité relookée du Service d'Expertise des Phénomènes de Rentrées Atmosphériques, ayant préféré changer de nom après son énorme bévue dans sa communication sur l'ovni du 5 novembre 1990 (Lire les travaux lucides de Robert Alessandri sur cette affaire : )
Venons-en aux faits présentés pendant l'émission. Le 9 décembre 2002, vers 10h45, Eric Ganachaud, pilote instructeur (depuis 30 ans), décolle dans un TB20 avec deux élèves à bord. Le vent est faible et la visibilité est parfaite. A 500 pieds, lors de la montée, cet instructeur dit alors avoir observé un phare « comme celui d'un avion Mirage mais 4 à 5 fois plus gros que la taille d'un phare habituel ». Il précise qu'il a l'habitude d'observer des Mirages dans ce secteur mais que cela n'y ressemblait pas. Il a l'impression que l'ovni lumineux fonce vers lui. La tour de contrôle ne signale aucun avion dans son secteur. Le pilote entame alors un virage à droite. Dès lors l'ovni s'éteint pour se transformer en une boule grise qui s'éloigne plus vite qu'un Mirage vers Dunkerque. Le commentateur indique que d'après le directeur du SEPRA, qui a recoupé, vérifié et « n'a rien laissé au hasard », « l'ovni n'a laissé aucun écho sur les radars » et même que « l'ovni n'est pas dû à un phénomène météo rare ni à un engin secret. »
Faisons un petit intermède pour réfléchir quelques minutes sur ce nouvel « ovni made in SEPRA », sur la base des informations contenues dans ce reportage.
Le SEPRA :
Enfin l'hypothèse d'un exercice de tir, en mer, d'un petit missile mer-air mériterait aussi d'être formellement exclue. On connaît quelques cas de confusion avec ces engins.
Croire que le pilote a vu un objet volant qu'il n'a pas pu identifier est une évidence. En revanche, croire que cet objet était non terrestre, inexplicable ou mystérieux et qu'il serait dès lors un cas d'ovni solide, bien vérifié, exige pour un esprit rationnel de demander au SEPRA-CNES (comme aux journalistes de « On vous dit pourquoi »), par décence et respect pour le public, de prouver que toutes les vérifications sus-citées ont aussi été faites pour exclure au moins une méprise due à un reflet solaire.
Revenons à présent au cours du reportage sur les activités du SEPRA (nous reviendrons ensuite sur le cas de Calais).
J.-J. Vélasco précise que 20% des 6500 cas signalés (depuis la création du GEPAN) sont de vrais ovnis et qu'il n'est pas exclu qu'ils viennent d'ailleurs que de notre planète … A l'occasion d'une soirée martienne très médiatique, autant pousser le bouchon sur le pourcentage des « vrais » cas d'ovnis, qu'il situe parfois plus modestement à 5%.
Le commentateur précise que le SEPRA étudie entre 120 et 150 cas par an. Impressionnant n'est-ce pas ? (6500 cas depuis 1977 donnent pourtant 250 cas par an !). De quoi penser que l'Hexagone est envahi par les ovnis. En moyenne cela donne plus d'un ovni tous les 2 jours (0,68/j pour 6500 cas en 27 ans) ou un tous les 3 jours (0,48 cas/j pour 150 par an) qui serait signalé aux gendarmes puis au SEPRA pour « étude » ou « expertise ». Cela donnerait aussi, toujours en moyenne, près de 30 « vrais » ovnis chaque année sur lesquels le SEPRA, dépendant d'un organisme scientifique public, ne fournit aucune nouvelle, aucune information au public. De ce fait, certains ufologues complotistes en viennent à penser qu'ON (lire : l'armée, le SEPRA, le gouvernement, les services secrets, et même votre voisin…) nous cache des preuves de l'existence des soucoupes volantes et des extraterrestres. En résumé, les propos et l'attitude du SEPRA/CNES invitent à la paranoïa, alors qu'ils devraient être des modèles de transparence, de pédagogie scientifique visant à instruire et rassurer le public.
150 (à 250 !) ovnis par an : que d'enquêtes, que de travail abattu par un seul homme qui trouve néanmoins également le temps de faire des conférences, de se rendre aux quatre coins du monde pour promouvoir la recherche scientifique sur les ovnis, de donner des interviews aux médias,… Probablement travaille-t-il même durant ses périodes de congés pour faire face à cet emploi du temps, théoriquement surchargé. Bon, il est vrai qu'il existe des années creuses où les ovnis délaissent notre territoire. Mais cela implique alors des années chargées, avec plusieurs centaines de témoignages à analyser et expertiser. S'informer, vérifier ou recouper les informations, évaluer et mettre en forme le dossier, chercher une explication possible, formuler ses conclusions, le classer pour archivage nécessite de 3 jours à 1 mois (voire une année) selon les cas, d'après mon expérience en ce domaine. Serait-ce un enfer que de travailler pour ce service - que le commentateur qualifie de « très spécial » - du CNES ?
Nous aimerions juste connaître la teneur exacte des dossiers sur les cas de 2002 ou 2003 et surtout constater la qualité des expertises du SEPRA correspondantes … Mais comme le SEPRA se réfugie, astucieusement, derrière l'anonymat des témoins (pourtant souvent connus publiquement !) et l'interdiction de diffusion du contenu des PV de gendarmerie durant 60 ans (pour les mêmes raisons de respect de la vie privée et de l'anonymat) pour ne pas communiquer d'information (surtout à ceux qui veulent les vérifier avec un esprit critique) vous êtes, comme nous, forcés de croire le SEPRA… sur paroles et non sur preuves ou dossiers scientifiques.
Mais alors si l'accès aux informations sur les ovnis est ainsi « verrouillée », pourquoi voit-on le directeur de ce même SEPRA préciser, à plusieurs reprises, à des heures de grande audience télévisée ou dans des revues à grand tirage, le nom de témoins, relater en détail leurs observations de « vrais ovnis solides » ? Des machines volantes aussi insolites, des engins aussi fantastiques devraient intéresser les autorités militaires et être logiquement classés ultra-top-confidentiels si l'on en croit les ufologues « conspirationnistes », les anciens généraux du COMETA, Jean-Jacques Vélasco du SEPRA et surtout… les lois en vigueur. A moins que tous ces dossiers « solides » ne contiennent que des méprises, du vent en fin de compte… Quelqu'un ayant intérêt à conserver un poste budgétaire souvent remis en question au sein du CNES aurait-il intérêt à brasser régulièrement ces courants d'air d'ovnis ?
Cette hypothèse semble trouver un début de confirmation dans la suite de l'émission. Le reportage se poursuit en effet avec l'observation du Cdt Duboc du 28 janvier 1994 sur lequel il existe désormais de nouvelles informations issues d'un rapport interne au SEPRA. Un rapport bien caché mais non réellement « confidentiel » puisque la seule page du rapport (portant bien cette mention en haut de page) voit son contenu, relatif à la trace radar, livré pour publication à Paris Match en 1997. Et devinez par qui ? Par Monsieur Vélasco lui-même. La confidentialité des données ne constitue donc pas son vrai souci.
Le VSD « spécial ovni » de novembre 2003 m'incite à garder pour plus tard les nouvelles sur l'affaire Duboc pour revenir sur quelques précisions apportées par l'article intitulé : « Un procès verbal de gendarmerie exceptionnel, UN OVNI AU DESSUS D'UNE CENTRALE NUCLEAIRE ! » . Hé oui, messieurs, mesdames, approchez ! Venez voir cet ovni, « quasiment à la verticale de la plus puissante centrale nucléaire de l'hexagone ». On sent le professionnel de l'accroche qu'est le rédacteur Bernard Thouanel. Sentez-vous la menace que représente l'ovni au dessus de Gravelines ? (Une émission d'un rayon hypothétique désintégrateur cosmique et c'était la catastrophe nucléaire ! On a eu chaud.) Bon, personne n'a rien vu d'insolite à la centrale de Gravelines mais certains journalistes, peu rigoureux, s'en moquent bien. Il faut le vendre comme un événement remarquable ce piètre récit de lumière diurne lointaine dont même Jean-Jacques Vélasco déclare dans ce VSD : « ce cas en lui même n'est pas exceptionnel ». C'est clair, en substance, voici le seul cas aéronautique non-identifié que le SEPRA peut donner en pâture au public (depuis celui de 1994). Ce serait un des plus fameux parmi les 30 « vrais ovnis » (déjà sélectionnés parmi les 150 ou 250) annuels. Edifiant.
Tout aussi édifiante est la publication dans VSD d'un PV de gendarmerie, pièce officielle normalement publiable uniquement après un délai de 60 ans, comme le SEPRA l'a rappelé dans une circulaire aux gendarmeries. Dans un simple procès en justice, le saviez-vous, il vous faudrait prendre un avocat pour avoir le droit de voir et disposer de … votre propre P.V. De quoi se demander si Bernard Thouanel bénéficierait de droits différents des autres citoyens, sans que cela ne dérange le SEPRA détenteur des ces documents ? Positivons : même s'il est réduit en taille, le P.V demeure lisible et permet d'obtenir quelques précisions fiables et utiles.
Voyons quelles sont les infos nouvelles données par VSD (il y en a, c'est déjà ça) :
Enfin signalons une autre erreur d'estimation du pilote instructeur. Ce n'est pas parce qu'un objet X (ici considérons un avion de ligne ou de chasse) se situe à une faible hauteur angulaire dans le ciel qu'il se situerait « à 300m de hauteur/ 1000pieds sol ». Il y a là une incohérence énorme sur l'altitude par rapport à la distance : si l'objet est bien à 5km (au moins) et aussi à 300 m du sol, il eut été angulairement trop bas (à 3,3° !) donc invisible du pilote instructeur dans le cockpit de ce Trinidad au décollage « en cabré à 10° » ! L'ovni était donc plus dans les 15-20° de hauteur angulaire (vu sa position sur la verrière du cockpit dans le dessin p.11) soit entre 1300m et 1800m d'altitude pour seulement 5 km de distance. Pour 10 km, les altitudes doublent. Le pilote instructeur chevronné se trompe donc au minimum de 4 fois à 6 fois sur l'altitude estimée si la distance estimée est bien de 5 km. CQFD !
Et le responsable du SEPRA, qui n'a pour sa part manifestement décelé aucune incohérence dans ce témoignage, veut nous faire croire que ses enquêtes sont sérieuses et scientifiques. Les faits montrent pourtant qu'ici elles n'intègrent même pas de simples notions de calculs trigonométriques.
Alors infaillibles ou fiables ces témoignages des pilotes ? Ni plus ni moins qu'un agriculteur qui a souvent les deux pieds bien sur terre et plus de repères visuels que le simple bleu du ciel. Le chef de service du SEPRA - CNES déclare pourtant : « Avec un pilote on a quand même l'avantage , par rapport à Monsieur Tout-le-Monde, d'être en présence d'un témoin, qui de par sa profession, est en mesure d'évaluer un certain nombre de facteur comme la vitesse, l'altitude, le déplacement, etc… ». Nous avons vu de qu'il en est sur l'altitude et l'azimut. Mais admettons…
Cela dispense-t-il le SEPRA d'investigations, recoupements et vérifications digne d'un service scientifique ? L'expert du SEPRA nous donne la réponse alors qu'il critiquait, chose amusante, les enquêtes et méthodes des zététiciens : "Un bon scientifique c'est un scientifique qui doute mais qui doit mettre en œuvre tous les moyens, _tous les moyens _, pour essayer de comprendre les phénomènes auxquels il a affaire" (J.J Vélasco Café des Sciences de Chambéry , mai 2002).
Comme bien d'autres dossiers antérieurs, ce cas d'observation d'ovni et l'enquête du SEPRA qui lui est associée sont révélateurs d'une approche, pour le moins révolutionnaire, que Jean-Jacques Vélasco compterait présenter dans son bilan au conseil scientifique du CNES, voire à l'Académie des Sciences si l'on lit entre les lignes, avant de prendre une retraite bien méritée. Elle se résumerait ainsi : Peu importe la qualité des données relatives aux objets volants non identifiés ; s'ils émanent en quantité de pilotes, c'est que les ovnis existent et qu'en conséquence la science doit s'y intéresser.
Il y a quelque chose de quasi fascinant à imaginer le SEPRA revendiquant devant cette « prestigieuse assemblée », la scientificité de ses études sur le phénomène ovni grâce à l'usage d'une méthode qui a consisté à ne voir ni les erreurs d'enquêtes ni les erreurs de témoignages. Cette nouvelle vision de l'approche en « en double aveugle » , que le SEPRA a scientifiquement éprouvée au fil des années, lui a permis d'obtenir des résultats très significatifs de l'existence d'un phénomène inconnu qui se manifeste à l'évidence dans 3% à 37% des cas (variation qui dépend de l'auditoire).
On peut lire en page 15 du VSD que sur 157 dossiers renseignés comme ovnis aéronautiques (incluant ceux depuis 1951, que ni le GEPAN, ni le SEPRA n'ont enquêté), le pourcentage d'ovnis « vrais » est de 14,6% (avec un doute sur 19% vu que la couleur n'est pas visible !). Ce qui donne, au moins, 22 cas d'ovnis aéronautiques, sérieux et passionnants, depuis 1951 ? Quels sont-ils ? Sont-ils aussi solides que les deux « vrais ovnis aéronautiques» les plus médiatisés par le SEPRA : celui du Cdt Duboc (1994) et celui du pilote instructeur Ganachaud (2003) ? Deux cas qui ne résistent pas à un simple examen critique.
L'avantage avec les statistiques, c'est que l'on peut leur faire dire ce que l'on veut et qu'elles évitent un regard trop curieux sur les vraies données des dossiers, cas par cas, erreur par erreur.
19/11/2003, E.Maillot.
Note : proposition a été faite par Email au responsable du SEPRA « d'en corriger les éventuelles inexactitudes avant publication » par un ajout en fin de ce texte. Aucune réponse depuis le 12/11/03. La proposition tient toujours… |