Cercle Zetetique

Gallipoli : le mythe du régiment enlevé par un nuage...

Article de Laurent Puech, 9/1/98.

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Parmi les grandes histoires colportées par certains tenants du paranormal, celle du régiment disparu à Gallipoli est un classique. Démontée depuis longtemps, elle revient régulièrement. Voici quelques infos sur le sujet...

Tout commence par un article publié dans la revue néo-zélandaise Spaceview, n°45, de septembre-octobre 1965 (normalement consacrée aux recherches spatiales scientifiques...). On y trouve l'article suivant (version française publiée par Science et Vie) :


"Gallipoli, le 28 août 1915 : un jour à ne pas oublier."

"Ce qui suit est la relation d'un étrange incident qui eut lieu à la date ci-dessus indiquée, au cours de la matinée, au moment où les combats des ANZACS (Australo & New Zealand Army Corps) sur la "Colline 60", Baie de sulva, atteignaient leur paroxysme.

Le jour s'était levé, clair, à l'exception, toutefois, de six à huit nuages en formes de pains - tous exactement pareils -suspendus dans le ciel au-dessus de la "Colline 60". Malgré une brise de 6 à 8 km/h qui soufflait du sud, ces nuages ne changeaient ni de position ni de forme. La brise ne les emporta pas, et ils demeurèrent sur place, à une hauteur d'environ 60° par rapport à notre point d'observation qui surplombait le terrain de 152m à peu près. Un nuage semblable, immobile lui-aussi, reposait sur le sol au-dessous de la formation. Il mesurait approximativement 244 m de long, 67 m de haut et 61 m de large. Il était extrêmement dense, au point de paraître solide, et se trouvait à 3 ou 4 km du terrain tenu par les Britanniques. Tout ceci fut observé par 22 hommes de la 3e section de la 1ère compagnie de génie néo-zélandaise dont moi-même, à partir de nos tranchées sur Rhododendron Spur située à moins de 2500m au sud-ouest du nuage posé au sol. Notre position dominait la "Colline 60" d'environ 90 m. Ainsi qu'on le sut plus tard, ce nuage chevauchait le lit d'un torrent tari ou un chemin défoncé (Kaiajik Dere) et nous distinguions parfaitement le nuage tandis qu'il reposait au sol. Il était gris clair, comme ceux qui flottaient au-dessus de lui.

On vit alors un régiment britannique, le 1/4 Norfolk, fort de plusieurs centaines d'hommes, remonter le torrent ou chemin en question vers la "Colline 60". Parvenus au niveau du nuage, ils y entrèrent sans hésiter, mais aucun n'en sortit jamais. Au bout d'une heure environ, le nuage se leva discrètement, et, quittant le sol comme l'aurait fait n'importe quel nuage ou brouillard, monta rejoindre les nuage mentionnés au début de ce récit. Pendant tout ce temps, le groupe de nuages était demeuré sur place, mais dès qu'il fut rejoint par celui qui montait du sol, tous s'éloignèrent ensemble vers le Nord, c'est à dire vers la Thrace. Trois quarts d'heure plus tard, ils étaient hors de vue.

Le régiment susmentionné a été porté "manquant" ou "détruit" et, dès la capitulation de la Turquie en 1918, la Grande-Bretagne en demanda la restitution. La Turquie répondit qu'elle n'avait jamais eu aucun contact avec ce régiment et ne savait même pas qu'il existait. Un régiment britannique, en 1914-1918, pouvait compter entre 800 et 4000 hommes. Les témoins de cet incident affirment que les turcs n'ont jamais capturé ni même rencontré ce régiment.

Nous les soussignés, quoique tardivement, c'est à dire à l'occasion du cinquantenaire du débarquement de l'ANZAC, déclarons que l'incident décrit ci-dessus est en tous points véridique.

Signé par les témoins :

  • Sapeur F. Reichardt, matricule 4/165, Matata, Bay of Plenty
  • Sapeur R. Newnes, matricule 13/416, 157 King Street, Cambridge
  • J. L. Newman, 75 Freyberg Street, Octumoctaï, Tauranga."


L'historien néo-zélandais I.C. McGibbon a enquêté sur cette histoire. Voici les faits.

  • Il n'y a eu aucun combat violent le 28 août 1915 dans la région.
  • Il y a eu du brouillard, simplement le 21 août, qui gêna considérablement l'assaut contre la "Colline 60" lancé par les ANZAC.
  • J. L. Newman ne se trouvait pas à Gallipoli dont il avait été évacué à cause d'une infection intestinale.
  • Roger Newnes ne fit jamais partie des New Zealand Enginners, mais au 4e escadron des Auckland Monted Rifles dont aucun élément ne se trouva à Rhododendron Spur après le 8 août 1915.
  • F. Reichardt, sapeur de la First Divisionnal Field Company des New Zealand Engineers, il aurait dû avoir quitté Rhododendron Spur avec son corps d'armée le 20 août.

Les "témoins" n'en étaient donc pas !


Michel Granger, dans le journal québécois ENIGMA (avril 1996), donne d'autres informations intéressantes.

"Quand le nuage se leva, en effet, « nul ne revint jamais », selon les propres termes de Sir Ian Hamilton, commandant en chef. Et pour cause, puisqu'en 1919, sur les lieux, un fermier turc retrouva 180 cadavres au fond d'un ravin (...) dont 122 furent identifiés comme appartenant au Norfolk."

"Quant aux autres disparus, ils font bien sûr partie des 771 982 citoyens du Commonwealth morts durant le conflit et qui n'eurent jamais de sépulture! Les soldats inconnus anglophones."


Pour conclure, il accordent les circonstances atténuantes aux auteurs de cette histoire :

Pour ce qui est de l'attestation proprement dite des témoins - qui n'en étaient pas, soit dit en passant comme l'enquête subséquente le prouvera - concédons qu'il ne s'agit pas d'un mensonge délibéré, à l'instar de R. Melfi.

Le principal propagateur de la légende, Frank Reichardt « aurait modifié inconsciemment son histoire au gré des nombreuses narrations de ses « souvenirs de guerre ». Une situation qui l'aurait amené à présenter, un demi-siècle plus tard, une histoire entièrement métamorphosée ».

Paul Begg, un autre démystificateur de l'affaire, hésite à parler de « fabrication » complète en arguant d'un autre passage du rapport final de la commission :

« Par quelque caprice de la nature, la plaine de Suyla fut baignée d'une étrange brume ». Que des combattants assistant au massacre de leurs camarades aient été marqués par ce phénomène n'a rien pour surprendre.

Et M. Granger de conclure :

"Ce n'est pas une raison suffisante, cependant, pour entretenir le mythe. Du moins à mes yeux. Je ne sais pas aux vôtres."

Aux nôtres aussi.


Sources :